Élection
du pape Pie XII
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Un
siècle de papauté autoritaire:
18/07/1870: le pape devient infaillible
27/06/1929: le Vatican s'arrange avec le Mexique
12/03/1939: élection de Pie XII
11/10/1962: ouverture du concile Vatican II
Amen., l'affaire Pie XII au cinéma
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Le 12 mars 1939, les
cardinaux réunis en conclave au Vatican élisent Eugenio
Pacelli (63 ans) à la succession du pape Pie
XI, mort quelques semaines plus tôt.
Le
nouveau pape était dès avant son avènement, le cardinal le
plus connu de la planète, du fait de ses nombreux voyages en
qualité de secrétaire d'État (ministre des Affaires étrangères)
du Vatican.
Il prend le nom de Pie XII. Son intronisation se déroule sous
les acclamations de plusieurs centaines de milliers de fidèles.
La cérémonie, pleine de magnificence, est pour la première
fois radiodiffusée dans le monde entier.
Elle est à l'image du nouveau pontificat. Avec l'élection de
Pie XII, l'Église catholique semble atteindre le summum
de son autorité morale et spirituelle.
Le catholicisme réunit à cette époque 500 millions de fidèles
sur un total de 2 milliards d'hommes (le quart de la population
mondiale).
Mais au-delà des apparences, l'élection inaugure un déclin de
l'Église triomphaliste héritée de Pie
IX.
De l'autre côté des Alpes, au même moment, un dictateur
furibond dépèce ce qui reste de la Tchécoslovaquie et s'apprête
à porter la guerre dans le monde entier...
Né
pour la papauté
Eugenio Pacelli a vu le jour à Rome le 2 mars 1876, dans une
famille d'avocats attachés au Saint-Siège, qui ruminent leur désolation
depuis la prise de Rome par l'armée italienne et l'enfermement
volontaire du pape au Vatican.
Au séminaire, pour des raisons de santé, Eugenio Pacelli échappe
au lot commun et obtient de rentrer chaque soir au domicile
parental. Notons que, devenu adulte, il entrera très tôt dans
la diplomatie vaticane et n'aura pas davantage l'occasion de côtoyer
le peuple, si l'on excepte les domestiques à son service. Il ne
connaîtra jamais les hommes ordinaires qu'à travers les
dossiers.
Dès l'âge de 25 ans, il est remarqué par un fonctionnaire de
la secrétairerie d'État et va rapidement grimper tous les échelons
de cette institution.
C'est ainsi qu'il devient nonce (ambassadeur) en Bavière puis
à Berlin en 1920. Pour finir, il devient secrétaire
d'État en 1930 et va le rester jusqu'à son élection à
la papauté en 1939.
Fin diplomate, charismatique et séducteur, élégant dans la
pourpre cardinalice, Eugenio Pacelli sait recevoir ses
interlocuteurs dans ses résidences de Munich comme de Berlin.
En 1919, Munich est livrée à une bande de révolutionnaires
brutaux qui se réclament du communisme. Le nonce est heurté
dans sa chair par ces individus qui le menacent de leurs
fusils. De cette expérience, il va conserver une méfiance viscérale
à l'égard des communistes.
Dans les années 1920, il prépare d'arrache-pied un concordat
entre le Vatican et les Allemands qui donnerait au Saint-Siège
la haute main sur les nominations d'évêques. Mais les négociations
achoppent sur des broutilles.
Finalement, le concordat est signé le 20 juillet 1933 avec le
gouvernement dirigé par Hitler! Celui-ci s'est habilement servi
de son vice-chancelier, le conservateur Franz Von Papen, pour
endormir la méfiance du Vatican.
Cinq mois après son arrivée au pouvoir, Hitler gagne avec le
concordat la légitimité internationale qui lui faisait encore
défaut.
Dans le même temps, à Berlin, Monseigneur Ludwig Kaas, chef du
parti catholique du Centre, le Zentrum, vote les pleins
pouvoirs à Hitler puis saborde son parti.
Plus tard, les détracteurs du futur pape soupçonneront
celui-ci d'avoir poussé son ami Ludwig Kaas à voter les pleins
pouvoirs en contrepartie du Concordat. Aucune preuve, toutefois,
ne vient corroborer ces accusations (1).
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Complice
de Hitler?
C'est un fréquent
anachronisme que de juger les contemporains de Hitler d'après
ce que nous savons de la fin du nazisme. Mettons-nous un instant
à la place de nos aïeux qui assistèrent en 1933 à la prise
de pouvoir de Hitler.
Dans les 15 ans qui les séparent de la Grande Guerre de
1914-1918, ils ont eu connaissance des horreurs perpétrées en
Russie par les bolcheviques. Lénine, en 4 ans de pouvoir, a
causé la mort de plusieurs millions d'hommes (famines organisées,
exécutions, guerre civile).
Après une pause, son successeur, Staline, a repris ses méthodes
au début des années 30, en ouvrant les camps de Sibérie
et surtout en organisant une gigantesque famine en
Ukraine qui a fait 4 à 6 millions de victimes(2).
En Hongrie, une tentative de prise de pouvoir par le communiste
Bela Kun a laissé des souvenirs effroyables dans la population.
Rien de comparable dans le reste de l'Europe. Mussolini, un
socialiste repenti, inaugure une nouvelle forme de pouvoir
autoritaire qu'il présente comme une troisième voie entre le
communisme et le capitalisme. Le Duce remet sur pied
l'Italie. Ses apparents succès lui valent l'estime des démocrates,
y compris du plus grand d'entre eux, Churchill! Un seul meurtre
lui est reproché, celui du député d'opposition Matteotti.
Les épigones de Mussolini foisonnent: Salazar au Portugal,
Horthy en Hongrie, Pilsudski en Pologne, Dollfuss en Autriche...
Il semble que la démocratie à l'anglo-saxonne soit condamnée
en Europe continentale. Le cardinal Eugenio Pacelli n'est pas
loin de partager ce point de vue avec la plupart de ses
contemporains.
L'irruption de Hitler doit être replacée dans ce contexte. Son
antisémitisme s'atténue pour des raisons d'opportunisme électoral
au début des années 1930. Le Führer ne cache pas son
admiration pour Mussolini et beaucoup d'Allemands pensent qu'il
pourrait, comme le Duce italien, remettre leur pays sur
pied, au prix d'une entorse aux principes démocratiques.
Quelques milliers d'israélites allemands quittent leur pays par
précaution en 1933; beaucoup y reviennent l'année suivante,
considérant que le danger est derrière eux. Personne n'est
alors en mesure de soupçonner la suite. Pas davantage le pape
que quiconque...
Edith Stein, philosophe d'origine juive, convertie au
catholicisme et entrée au Carmel, fait exception. Dès avril
1933, elle écrit une lettre prophétique au pape Pie
XI où elle dénonce l'ignominie du nazisme et les dangers
que fait courir à l'humanité «l'idolâtrie de la race»
(le contenu de cette lettre a été dévoilé en 2003 par le
Vatican).
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Dans les années qui
suivent l'accession de Hitler au pouvoir, le pape Pie
XI et son secrétaire d'État prennent très vite conscience
de la monstruosité du nazisme. Qui sait d'ailleurs si la lettre
adressée par la philosophe Edith Stein au pape dès avril 1933
n'a pas contribué à cette prise de conscience...
Dès février 1934, le pape dénonce la fierté raciale et la même
année, à Pâques, dans une lettre écrite de sa main à la
jeunesse catholique allemande, il s'en prend à «cette
nouvelle conception de vie s'éloignant du Christ et ramenant au
paganisme».
Sa dénonciation du nazisme culmine avec l'encyclique Mit
brennender Sorge (Avec un souci brûlant). Publié en
allemand le 14 février 1937, ce texte qui dénonce l'idéologie
de la race est lu en chaire le 21 mars 1937 dans les église
catholiques d'Allemagne.
Entre temps, le 19 mars, le pape a publié une encyclique en
latin (Divini Redemptoris) pour dénoncer parallèlement
le communisme athée (on est à l'époque des grands procès de
Moscou et les victimes de Staline se comptent déjà par
millions).
«Protestez!»
En 1939, à la mort de Pie XI,
Eugenio Pacelli est de tous les papabile le favori. Il
est élu sans surprise au trône de Saint Pierre. Mais pour
nous qui connaissons la suite de l'Histoire, il ne fait plus de
doute que ce n'était pas l'homme de la situation.
Pie XII s'avère plus proche de ses contemporains Chamberlain et
Daladier, partisans de l'accommodement avec Hitler, que de
Churchill, partisan de la rupture.
A l'approche de la guerre, il hésite à protester contre les
persécutions que les nazis infligent aux institutions
catholiques d'Allemagne dans la crainte d'occasionner de plus
grands torts à ses fidèles.
D'un autre côté, en 1940, il s'entremet imprudemment dans un complot
secret contre Hitler, à la demande d'amis allemands antinazis.
Après l'invasion de la Yougoslavie par Hitler et la création
d'un État croate fantoche, le Vatican tarde à prendre ses
distances avec les Oustachis, bandes de criminels
responsables d'innombrables atrocités contre les Juifs et les
Serbes.
Quand arrivent les premières informations sur
l'extermination programmée des Juifs en Europe centrale, le pape,
pas davantage que quiconque, n'est disposé à y croire.
Certains responsables le pressent néanmoins de parler.
Parmi eux l'ambassadeur britannique auprès du Saint-Siège, Lord
Osborne.
L'appel vient enfin dans l'homélie de Noël 1942. Le pape évoque
le sort des personnes persécutées en raison de leur naissance
ou de leur race (mais par un excès de prudence diplomatique, il
évite de nommer les Juifs et les nazis).
Son message tient en quelques mots, après le vœu de ramener le
monde à la loi divine: «L'humanité doit ce vœu aux
centaines de milliers de personnes qui, sans aucune faute
de leur part, parfois seulement en raison de leur nationalité
ou de leur race, sont destinées à mourir ou à disparaître
peu à peu».
Ce sera tout. Le pape n'osera pas en dire plus. Sa réserve
diplomatique suscitera plus tard des interrogations légitimes.
Mais est-il sûr que des appels pressants de sa part eussent
brisé le mur d'incrédulité et de propagande de l'époque?
Ceux-ci n'eussent-ils pas entraîné au contraire un
redoublement de répression des organisations catholiques, en
première ligne dans l'aide aux Juifs et aux persécutés?
L'inertie du pape devient pathétique le samedi 16 octobre 1943.
Mussolini ayant été renversé, les Allemands occupent Rome. Un
détachement de SS rafle le matin de ce jour un millier de Juifs
romains sous les fenêtres de Pie XII. Les convois passent
devant la basilique Saint-Pierre.
Convoqué par le secrétaire d'État du Vatican,
l'ambassadeur allemand, Van Weizsäcker, l'encourage à mots
couverts à réagir. «Protestez!» dit-il à
plusieurs reprises, suggérant que lui-même saurait faire relâcher les
Juifs en cas de protestation claire du pape. Ni le pape ni son
secrétaire d'État, le cardinal Maglione, ne l'ont osé.
Un
pape adulé
Notons que Pie XII a bénéficié pendant son pontificat comme
après sa mort d'une immense ferveur populaire. A la fin de la
guerre, chacun lui a été reconnaissant d'avoir porté le
message de l'Église pendant le conflit.
Les représentants juifs ne sont pas en reste. Le 29 novembre
1944, une délégation de 70 rescapés exprime à Pie XII, au
nom de la United Jewish Appeal, leur reconnaissance
pour son action. Et à Jérusalem, dans la vallée des Justes,
un arbre porte aujourd'hui le nom d'Eugenio en hommage au pape!
Il est vrai que les institutions catholiques, dans l'ensemble,
ont accueilli, aidé et caché les juifs persécutés dans toute
la mesure du possible.
L'aura du pape va s'accroître pendant les dernières années de
son pontificat, jusqu'en 1958. L'Israélienne Golda Meir déclarera
à sa mort, le 9 octobre de cette année-là: «Pendant la décennie
de terreur nazie, quand notre peuple a subi un martyre terrible,
la voix du pape s'est élevée pour condamner les persécuteurs
et pour invoquer la pitié envers leurs victimes. ... Nous
pleurons un grand serviteur de la paix».
C'est en 1963 seulement que le doute sur l'action de Pie XII va
s'insinuer dans l'opinion publique avec la sortie en Allemagne
de la pièce de théâtre le Vicaire, d'où le cinéaste
Costa-Gavras a tiré en 2002 le film Amen.
Trompeuse
prophétie
Pie XII a témoigné d'indéniables qualités à
l'origine de son immense popularité: une piété
parfois ostentatoire dans sa manière de bénir à tout
propos, une humilité sincère, une immense capacité de
séduction, une vive sensibilité aux peines de ses
interlocuteurs,...
Mais il avait aussi des faiblesses non moins indéniables.
Enfant de la bourgeoisie, éloigné du peuple et mûri
dans la haute diplomatie, il était porté à préférer
les conversations entre gens bien élevés aux harangues
populistes.
Le contexte antidémocratique de son époque l'a
encouragé à prendre sa place au sommet de la structure
pyramidale du Saint-Siège, voulue par Pie
IX et renforcée par ses successeurs.
Il était tout le contraire d'un tribun et on l'imagine
mal, comme son successeur Jean-Paul II, lançant un
appel à l'insoumission.
Le pape Pie XII a été, d'une certaine manière, leurré
par la fausse prophétie de Malachie qui désignait le
262e pape (lui-même) sous le surnom de Pastor
angelicus (pasteur angélique).
Il s'est appliqué à aligner son comportement sur cette
appellation et fait même réaliser au plus fort de la
guerre un film de propagande tout simplement intitulé «Pastor
angelicus».
Comment eut-il agi face au nazisme si la prophétie
l'avait désigné par exemple sous l'appellation de Lion
féroce - question posée par l'ambassadeur anglais
auprès du Saint-Siège(3)-
?
Réfléchissons-y à deux fois avant de le juger.
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Bibliographie
Sur l'itinéraire de Pie XII, son portrait psychologique et son
attitude équivoque vis-à-vis du nazisme, on peut lire l'essai
de John Cornwell: Le pape et Hitler, l'histoire secrète de
Pie XII (Albin Michel, 1999).
On regrette le parti pris systématique de l'auteur, son
ignorance du contexte (le rôle de la Curie, le gouvernement du
Vatican, et l'attitude des autres dirigeants de l'époque) et la
sous-estimation du rôle de Pie XI,
prédécesseur de Pie XII. On peut déplorer aussi quelques
erreurs manifestes de l'auteur lorsqu'il s'éloigne de son sujet
et des indications bibliographiques presque exclusivement
anglo-saxonnes.
Sur un ton plus convenu, on peut lire: Pie XII et la
Seconde Guerre Mondiale, de Pierre Blet, chez Perrin.
(1)
John Cornwell, Le pape et Hitler (traduit de
Hitler's Pope), Albin Michel, 1999 [retour]
(2)
La famine en Ukraine a donné lieu à des témoignages de première
main comme celui-ci: Miron Dolot, Les affamés, l'holocauste
masqué (Ukraine 1932-1933), Ramsay, 1986 [retour]
(3)
John Cornwell, ibid, page 359 [retour]
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