Abdication de Christine de Suède

avec l'aimable collaboration de Gabriel Vital-Durand


Le 6 juin 1654, après dix ans de règne personnel, Christine de Suède (28 ans) abdique solennellement à Uppsala au profit de son cousin, Charles X Gustave. C'en est fini de la dynastie des Vasa.

Christine est montée sur le trône à l'âge de six ans suite à la mort de son père, le roi Gustave II Adolphe. Celui-ci, stratège de grande stature, fut tué à la bataille de Lützen le 16 novembre 1632, bataille qu'il remporta sur Wallenstein.

La jeune souveraine reçoit une éducation soignée de son précepteur Johannes Matthiae, maîtrisant rapidement le français, l'italien, le grec et le latin. Sa mère, Marie-Éléonore de Brandebourg, à demi-folle, est écartée du conseil de régence.

Devenue majeure en 1644, Christine tente de gouverner elle-même, par-dessus la tête du fidèle et efficace ministre de son père, le chancelier Axel Oxenstierra (le «Richelieu» suédois).

Mais elle ne tarde pas à s'aliéner la noblesse par ses excentricités, son mépris des convenances et ses dépenses fastueuses.

Dotée d'une vitalité peu commune, Christine se passionne pour la chasse à l'ours et s'habille volontiers en homme, mais aime aussi se poser en protectrice des arts et des lettres.

D'un esprit curieux et universel, elle correspond avec les grands esprits français, l'astronome Pierre Gassendi, Blaise Pascal et surtout René Descartes, qu'elle invite à la cour et auquel elle demande régulièrement des leçons de philosophie dans la bibliothèque de son palais, à 5 heures du matin!

Le savant écrit pour elle le Traité des Passions avant de s'éteindre d'épuisement à Stockholm au bout d'un an, à l'âge de 54 ans.

Christine se fait couronner «roi» de Suède en 1650 mais n'acceptera jamais de se marier... Libre d'esprit et de mœurs, elle ne se prive pas d'amant(e)s pour autant (même si une liaison avec Descartes est peu crédible).

Christine de Suède, portrait par Sébastien Bourdon (musée du Prado)

«Nec falso nec alieno» (rien de faux, rien d'emprunté) fut la devise de la reine Christine (1626-1689), une féministe en avance sur son temps.

Les portraits de la souveraine, comme celui-ci, par Sébastien Bourdon, révèlent une femme volontaire, aux traits virils et dépourvus de grâce.

La «reine ambulante»

Après son abdication, sous l'influence de son médecin personnel Pierre Bourdelot et des Jésuites, elle quitte la Suède pour de longues pérégrinations à travers l'Europe, gagnant le surnom de «reine ambulante».

Elle abjure la foi luthérienne et se convertit secrètement au catholicisme à Bruxelles, puis se résout à une confession publique de sa foi catholique à Innsbruck, au grand dam de son cousin Charles X Gustave, qui lui a succédé sur le trône de Suède.

En grand équipage, elle se rend à Rome, but ultime de son voyage, où elle est accueillie avec faste par le pape Alexandre VII, heureux de faire étalage d'une convertie aussi prestigieuse. Elle s'installe dans le luxueux palais Farnèse en dépensant ostensiblement comme à son habitude les subsides de la Suède et du pape.

Mais Christine, semble-t-il, a choisi le catholicisme par goût de la liberté et dans le désir de se rapprocher des philosophes et des penseurs français. A un flatteur qui la compare à sainte Brigitte de Suède, elle confie qu'elle aimerait mieux figurer parmi les savants que parmi les saints.

Rome, forteresse obscurantiste de la Contre-Réforme catholique, déçoit les attentes de la souveraine.

Christine s'entiche bientôt d'un gentilhomme romain, le marquis Gian Rinaldo de Monaldeschi, qui la persuade de briguer le royaume de Naples auprès du cardinal Mazarin, après qu'en auront été chassés les occupants espagnols.

Débarquant à Marseille, elle prend le chemin de la cour du jeune Louis XIV où elle se signale par son excentricité et rencontre d'autres femmes libres comme elle, en particulier la courtisane Ninon de Lenclos et Mlle de Montpensier, cousine du roi.

Quittant Paris pour l'Italie avec la promesse de recevoir bientôt la couronne de Naples, elle doit retourner dare dare sur ses pas, faute d'argent et de soutiens. Par prudence, le cardinal Mazarin cantonne l'ex-souveraine au château de Fontainebleau.

Le 10 novembre 1657, Christine fait venir le père Le Bel, supérieur du couvent des Mathurins d'Avon, dans la galerie des Cerfs pour qu'il confesse Monaldeschi. Après quoi, elle fait exécuter ce dernier à l'épée...

Face au scandale de cette justice sommaire exercée sur le sol français, la reine revendique son droit de souveraine. Elle explique à Mazarin que le condamné avait reconnu l'avoir trahie en dénonçant son projet napolitain auprès des envoyés du roi d'Espagne.

Selon des sources malveillantes, il paraîtrait que la reine aurait aussi eu connaissance de lettres où son grand écuyer et amant raillait son physique!

L'affaire est étouffée et Christine s'établit enfin à Rome, au Palais Mazarin puis au Palais Riario, dans le quartier du Trastevere, où elle rassemble des collections d'art et une cour d'artistes qui lui vaudront une grande renommée à travers l'Europe classique.

Toujours active et engagée dans des entreprises exubérantes et souvent vaines, elle brigue la couronne de Pologne, le duché de Brême et même un retour sur le trône de Suède.

De manière plus positive, elle fonde en 1674 à Rome l'Academia reale sur le modèle de l'Académie française.

Elle mourra à Rome en 1689 en léguant tous ses biens au cardinal Azzolino auquel elle a voué un amour durable... et platonique.

Le pape, en reconnaissance de sa conversion, lui accordera (contre sa volonté) des funérailles grandioses et une sépulture à l'intérieur même de la basilique Saint-Pierre de Rome.

La reine a laissé plusieurs ouvrages en français dont ses Mémoires. Mais sa notoriété actuelle est surtout due à l'interprétation qu'a donnée à l'écran sa compatriote Greta Garbo «la Divine» de son personnage ô combien romanesque.

Bibliographie

On peut lire l'excellente étude psychologique et historique de Verena von der Heyden-Rynsch: Christine de Suède, la souveraine énigmatique (Gallimard, 2001, 240 pages, 22 €).

Gracieuseté de : http://www.herodote.net

 

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