LES JOIES DE LA MONTAGNE



La majorité des enthousiastes du FM ne savent pas ce qu'ils manquent en ne faisant pas partie des équipes qui entretiennent des répéteurs. C'est une vraie honte. Il est certain que le plaisir de participer à des conversations à travers un répéteur local ne peut être minimisé. C'est toujours un plaisir de jaser avec quelques maniaques de la radio sur un canal particulier, mais ce plaisir est bien minime en comparaison du plaisir que vous éprouverez en mettant vous-même en fonction votre propre répéteur. Surtout si vous l'installez sur une montagne.

Tenez par exemple, les gars qui entretiennent VE2TA sur le mont Orford. Ce répéteur qui faisait partie du patrimoine des amateurs du Québec avant qu'un club ne décide de l'éliminer du paysage était l'un des plus anciens répéteurs en existence dans la province. Mais il avait la mauvaise réputation d'être localisé à quelque trois mille pieds d'élévation. Au début, le club de Granby qui en avait la charge financière et technique en toute connaissance de cause, du moins on le suppose, l'avait mis en service après des négociations longues et laborieuses. Le responsable des relations publiques de ce club avait travaillé comme un forcené pour faire comprendre aux autorité de la télévision de Sherbrooke qu'un tout petit répéteur amateur, ça ne nuit pas à personne, ça ne prend presque pas de courant et ça peut à l'occasion rendre d'immenses services. Surtout si celui-ci était situé sur le mont Orford. Ce qui précède peut tout aussi bien s'appliquer aux autres montagnes.

Cette première phase du projet étant achevée à la très grande satisfaction de ceux qui s'en serviraient éventuellement, (lire break, break, commentaire, QSL, côté ci, côté ca), il fallait bien que la dite machine fut mise en fonction. Ce qui fut fait, comme on s'en doute, avec célérité, et je passe sous silence les problèmes de financement et tout et tout... 

Mais une fois mise en marche, il fallait bien que la dite machine demeure en onde, jour après jour, semaine après semaine, et année après année. C'est bien plus vite écrit que réalisé. Comme on le sait, ou peut-être qu'on ne le sait pas, le mont Orford, comme les autres montagnes d'ailleurs, sont couvertes de neige, de glace et de vent au moins la moitié de l'année, en exagérant un tant soit peu. En été, une excursion au sommet de cette montagnette est un vrai plaisir. Une petite randonnée de quelque vingt-cinq minutes de télésiège, suspendus entre ciel et terre, à se demander si ces maudits câbles ont été installés par le plus bas soumissionnaire, et si les attaches qui retiennent les chaises à ce fragile filin d'acier ont été trempées par la bonne compagnie, vous savez, celle qui est approuvée par l'industrie de l'aéronautique pour tremper les attaches des moteurs de 747 ou les trains d'atterrissage des DC-8. 

Une fois arrivé au sommet, et même si on est toujours en été, on se rend vite compte qu'on aurait dû apporter nos habits de ski doo. La température rôde aux alentours de 50 degrés, farenheight évidemment, et nos pauvres techniciens se voient, grelottants, devant se retenir au chassis du répéteur pour que leur main tremblante puisse planter correctement dans son trou la lampe défectueuse.

Mais, c'est l'été et ces petits misères ne sont rien en comparaison de ce qui attend nos techniciens de répéteur en hiver. Vienne cet hiver canadien, comme il se doit, avec son cortège d'emmerd...Pardon, j'allais dire un gros mot. Avec son cortège de désagréments. Le club a bien pensé investir dans l'achat d'une motoneige avec caboose, chaufferette et tout le tralala. Mais, pauvreté oblige, on a préféré en emprunter une. Pas de chaufferette, pas de caboose.

Les motoneiges filent très bien sur la neige, ça, tout le monde le sait. Elles sont faites pour cela d'ailleurs. Mais même dans la neige, ça tourne parfois à l'envers, projetant pêle mêle, fréquences mètres, "dummy load", multi-mètres, pinces et tournevis de toutes grosseurs, dans un tourbillon que seules, nos tempêtes de neige québécoises sont capables de créer.

Mais, commençons par le commencement. Après avoir roulé durant des heures tirant la motoneige dans une vieille remorque, on arrive au pied de la montagne, non sans avoir réparé chemin faisant une petite crevaison sur un des pneu usé à la corde de la remorque empruntée. Evidemment, on n'a pas de roue de secours pour la remorque, et on doit détacher celle-ci pour aller au premier garage faire réparer le pneu, contretemps qui fait perdre une bonne heure à nos volontaires. 
On débarque à force de bras la motoneige qui ne veut évidemment pas démarrer. Le carburateur est gelé. Les techniciens aussi. Maudite machine. Ça part seulement en été, quand on veut la changer de coin dans son garage. Finalement on y arrive. Après des centaine de coups de cordes, lire démarreur, le moteur de Bombardier commence à tousser, pendant que les techniciens commencent à cracher et à sacrer. 

On charge alors le matériel comme on peut, et on monte, et on monte, et on monte jusqu'à croire que c'est le vieux St-Pierre lui-même qui abrite ce sacré répéteur dans un coin de son grand ciel bleu. Si au moins, c'était le diable, y ferait peut-être un peu plus chaud.

On arrive enfin au sommet, non sans avoir perdu en route quelques condensateurs et quelques lampes, et peut-être aussi un peu de notre bel enthousiasme du début. Nos braves volontaires sont tous à moitié gelés du seul fait d'avoir été retardé pour remettre dans le droit chemin et surtout à l'endroit sur ses quatre roues, excusez, sur ses huit petites roulettes entourées de caoutchouc cette satanée machine récalcitrante, et après avoir dû la remettre en marche une bonne dizaine de fois à la suite de ses nombreuses quintes de toux. Toujours le carburateur.

Une fois arrivé, il faut constater l'ampleur des dommages ou la cause de la panne. Un de ces valeureux chevaliers des neiges se porte volontaire pour monter dans le poteau examiner de plus près les éléments de l'antenne. C'est toujours le même qui hérite de ce travail, c'est le seul qui n'a pas le vertige quand il grimpe à plus de dix pieds de hauteur. Il constate que la glace a brisé le fil coaxial à quelque 50 pieds de terre. Il fait à ce moment, 25 degrés sous zéro, et le fer à souder ne dégage même pas assez de chaleur pour se réchauffer lui-même. On décide d'installer une antenne temporaire dans la cabane, où il fait un peu plus chaud. Moins 10 au lieu de moins 25. On tâche de remettre en marche ce monstre de malheur, mais c'est peine perdue. 

Pendant ce temps, le volontaire dans le poteau s'est transformé en glaçon, mais il peut encore bouger un peu. Il a réussit à raccorder les deux bouts du fil coaxial, presque par la seule force de sa volonté, et pour se réchauffer, il s'affaire à briser la glace qui entoure les éléments de l'antenne à l'aide d'un tournevis étoile qui lui sert de pic à glace. Pendant tout ce temps, un autre valeureux technicien essaie de syntoniser l'émetteur avec ce qui lui reste de doigts encore assez mobiles pour tenir un outils d'alignement pendant que le non volontaire qui fait du sautillement sur place pour se réchauffer s'enfarge dans le cordon d'alimentation de la chaufferette provoquant de ce fait un court-circuit à l'entrée électrique de 60 ampères et plongeant la cabane dans la grande noirceur, pire que celle du temps de Duplessis. Évidemment, la lampe de poche est introuvable depuis les culbutes du ski doo et on cherche une allumette pas trop trempée pour tâcher de s'éclairer un peu. Mais comme nos volontaires sont tous des non fumeurs, personne n'a pensé à se munir d'allumettes.

Enfin, la lampe de poche est retrouvée, ainsi que les outils pour qu'on puisse replacer dans la boite électrique la fusible qui a sauté de façon à ce que la chaufferette puisse à son tour être réparée pour que le peu de chaleur ainsi obtenue facilite la remise en fonction du répéteur malade. Ouf... Et on donne l'ordre au non volontaire d'arrêter de sautiller sur une patte et sur l'autre pour ne pas causer un autre court-circuit et un autre black-out. Dehors, il a commencé à neiger. Doucement au début, mais le temps passant, il neige de plus en plus fort. Notre glaçon est redescendu de son poteau et tente de s'emparer du peu de chaleur qui sort de la chaufferette.

Le répéteur fonctionne enfin. Au début, c'est le silence. Puis, un PTT, puis un autre, puis un autre, puis 10 autres. Les PTT se doublent et se triplent. C'est incroyable ce qu'il y a de gros pouces dans cette province. Des gros pouces sans voix. Ou des gros pouces sans tête. C'est pareil. Le portatif que nos techniciens ont apporté ne fonctionne plus. Il a accompagné le ski doo dans ses pirouettes et il est rempli d'eau. Il est impossible à nos braves de demander un rapport, Enfin, un des gros pouces retrouve sa voix et se met à parler. Un autre gros pouce lui répond. Nos volontaires peuvent enfin partir.

On se prépare à redescendre, non sans avoir jeté un coup d'oeil aux alentours et avoir rapaillé les outils et les équipements de mesurage. Il faut redescendre au plus vite car leurs épouses les attendent pour aller à quelque soirée de danse de ligne organisée par l'association des dames patronnesses de la paroisse. 
Un bon lit précédé d'un gin au citron serait beaucoup plus apprécié qu'une soirée de danse de ligne. Mais, il faut ce qu'il faut. Et une promesse est une promesse, surtout que les conjointes n'étaient pas tellement heureuses de voir encore une fois partir leurs douces moitiés vers une autre de leurs aventures radio amoureuses.

Comme il fallait s'y attendre, le ski doo ne démarre pas. Il faut encore une fois démonter ce maudit carburateur et l'apporter dans la cabane, où il fait quand même un peu plus chaud, grâce à la petite chaufferette et après s'être époumonné à lui souffler dans tous les trous, on le remonte. A ce stage ici de la journée, nos volontaires sont prêts à échanger leur passe-temps pour une collection de timbres ou pour des trains électriques. Ils sont trempés jusqu'aux os, et gelés jusqu'à la moelle. Mais, le moteur à deux pistons de la Bombardier accepte de ronronner. Enfin. C'était pas trop tôt! 

La moto neige, comme on l'a dit plus haut, est conçue pour circuler sur la neige. Mais sur la glace, oh, la la, ça prend de la vitesse ces engins là. Surtout dans les descentes. Jos, attention à la falaise. En un brusque coup de guidon, on ramène la puissante machine sur sa pente habituelle. Celle que l'on suit généralement en été. Une fois de plus, l'association provinciale vient de manquer une belle occasion de manifester sa solidarité à quelques uns de ses membres par l'envoi de fleurs.

A quelques centaines de pieds de l'arrivée, le moteur arrête de nouveau. Cette fois, c'est la panne d'essence. On pousse, on tire, on sue et on sacre, comme il est de mise entre canadiens-français écoeurés. On embarque l'engin dans la remorque pour prendre enfin le chemin du retour. Il est huit heures du soir, et on n'a pas mangé depuis le matin. Comme il était bon ce petit déjeuner maintenant lointain pris entre amis discutant des joies de la montagne en dégustant un bon café. Madame la présidente des dames patronnesse va devoir de nouveau constater l'absence de quelques unes de ses plus fidèles habituées. C'est toujours les mêmes qui sont absentes. Elle ont épousé des amateurs, les pauvres. Si elles avaient su...

On fait le trajet du retour à la maison dans un silence fatigué et matabout. La route est glissante, la visibilité est nulle et le saint patron des radio amateurs doit faire du temps supplémentaire, de l'overtime, pour parler français, pour ramener ses protégés à bon port, eux qui ont passé leur journée à travailler et se dévouer au service de la communauté, c'est à dire des pitonneux à gros pouces..

Arrivé à la maison, le responsable du répéteur met son équipement en marche, question de vérifier si le travail qu'ils ont fait tient toujours. Mais, hélas, c'est pour entendre juste après le beep de courtoisie, un amateur rouspéter et maugréer: Maudit répéteur, il est encore dans le bruit, il marche pas mieux qu'avant. J'voudrais bien savoir qui est chargé de l'entretien de mon répéteur favori. Y va s'faire parler à la prochaine assemblée du club, j'vous en passe un papier. Etc, etc,. Pauvre braillard, il va être obligé de remplacer son rubber duck par une vraie antenne. Comme c'est triste! Et c'est comme ça tout le reste de la soirée, faisant regretter à notre homme de la montagne de ne pas être allé à ses danses de ligne.

Notre valeureux volontaire retrouve enfin son lit, avec un sac d'eau chaude, sur la tête, un coussin électrique essayant de dégeler ses pieds endoloris, pendant que son XYL lui tourne le dos, en beau maudit parce qu'elle a manqué, encore une fois, sa soirée de danse de ligne à son party de dames patronnesses. Et ce qui plus est, elle va avoir mal à la tête pendant tout le prochain mois, à des moments stratégiques.

Vous voyez bien que vous manquez beaucoup, beaucoup de plaisirs si vous ne possédez pas de répéteur bien à vous, juché tout en haut de la montagne la plus haute de votre région. Dites moi, mes amis, dites moi, je vous le demande, comment pouvez-vous vous passer d'un tel plaisir?


    


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