"Suivons
la première opération militaire. De même que son père Aegidius avait
été reconnu comme « roi des Francs » entre 451 et 459 par les
(Francs)Saliens durant l’absence de Childéric, Syagrius était
qualifié de « roi des Romains » par les troupes romaines
composées de lètes, gentiles
et autres Barbares implantés sous forme de garnisons, sans compter
des citoyens gallo-romains. Le titre de roi — sous-entendu fédéré
avec Rome — était attribuable aussi bien à un Romain qu’à un
Franc, ce qui permet de prendre conscience de l’interpénétration
mutuelle des deux civilisations. Deux rois, Syagrius et Clovis, portant
le même titre par hérédité, vont lutter l’un contre l’autre.
(…) La
guerre fut rude avec, évidemment, réductions en esclavage,
destructions et pillages, y compris des églises. L’occupation du
« royaume » de Syagrius dut concerner toutes les cités du
sud de la Belgique Seconde, y compris celle de Reims, encore que le détail
des opérations militaires de l’année 486 soit inconnu. « Beaucoup
d’églises furent pillées par l’armée de Clovis, parce qu’il était
encore enfoncé
dans les erreurs du fanatisme »,
dit Grégoire
de Tours —
après son baptême, Clovis devait interdire de piller les églises. Un
vase liturgique (urceus), probablement en argent, fut enlevé
dans un édifice de culte situé dans le diocèse de Reims. Frédégaire
(III, 16) et le testament de saint Remi montrent que le
soi-disant vase de Soissons venait
en réalité de Reims. Grégoire de Tours ne dit nulle
part qu’il
fut pris dans la cathédrale de Soissons. En revanche, tout le butin,
parmi lequel cette coupe qui servait probablement à contenir les pains
et offrandes des fidèles, fut réuni
sur l’ordre
du roi à Soissons. Remi avait envoyé un messager pour réclamer la
restitution de l’objet. Mais les règles de partage du butin entre les
soldats et le roi
étaient
strictes. Chacune des parts était tirée
au sort, y compris celle du roi qui représentait probablement le cinquième
du total, comme ce fut le
cas plus tard en
Espagne wisigothique. Clovis espérait que le tirage au sort lui accorderait
dans sa
part le vase. Ce ne fut pas le
cas. Il le réclama alors hors
part. Il voulait favoriser l’Église,
et particulièrement celle de Remi, en application du programme que
celui-ci lui
avait fixé dans
sa première lettre. La majorité de l’armée approuva le chef vainqueur
et voulut lui accorder ce passe-droit. Seul un soldat, ayant levé sa
hache, frappa le vase en
criant à haute voix: «
Tu
n’auras rien ici que ce que le sort t’attribuera vraiment. »
Clovis
s’inclina devant ce qui était le droit de l’armée et parvint, grâce
à un heureux tirage au sort d’autres objets, à récupérer le vase
et à le rendre
à l’envoyé de Remi, lequel le garda soigneusement par la suite comme
cadeau personnel. En remerciement pour ce premier témoignage d’amitié
et de respect entre les deux hommes, Remi ordonna dans son testament que
l’objet fût fondu
pour en faire «
un
encensoir et un calice gravé de représentations ». Le vase devait
donc être d’un grand poids et « d’une beauté merveilleuse ».
En tout cas, contrairement à ce qu’ont raconté les manuels
d’histoire de la IIIe République, le célèbre vase de
Soissons, en réalité de Reims, n’a jamais été cassé. Tout au plus
fut-il cabossé. À la célèbre question: «Qui a cassé le vase de
Soissons? » la réponse est en fait : Personne ! Les règles de l’armée de Clovis étaient strictement romaines. Si le butin devait être réparti de manière équitable pour les soldats, le chef de guerre avait droit de vie et de mort sur ses hommes. Le roi réunit ses fantassins, le 1er mars 487. Cette pratique était romaine là encore, puisque le champ de Mars servait à la revue d’inspection avant l’entrée en campagne. Clovis, probablement à Soissons, profita de la négligence du «frappeur de vase » pour lui régler son compte. Comme sa lance, son épée et sa hache étaient mal tenues, il lui arracha cette dernière de la ceinture et la jeta à terre. L’autre se penchant alors pour la ramasser, Clovis en profita pour lui enfoncer sa propre hache dans la tête : « Ainsi as-tu fait, à Soissons, avec le vase. » Le roi ordonna aux autres de s’éloigner, laissant le cadavre exposé au public, probablement sans sépulture, châtiment exemplaire par son excès. Le chef victorieux pouvait tout se permettre puisqu’il avait respecté de manière formaliste la discipline militaire, précisément parce qu’il l’avait respectée. Clovis n’avait rien d’un roi omnipotent et restait lié par règles, même lorsqu’il exerçait sa vengeance. Il faut noter cependant que l’épisode révèle un caractère vindicatif et obstiné, soucieux d’être obéi." Michel Rouche, Clovis, |