Gérard de Nerval

E P I T A P H E

Il a vécu tantôt gai comme un sansonnet,
Tour à tour amoureux insoucieux et tendre.
Tantôt sombre et rêveur comme un triste Clitandre
Un jour il entendit qu'à sa porte on sonnait.

C'était la Mort ! Alors il la pria d'attendre
Qu'il eût posé le point à son dernier sonnet ;
Et puis sans s'émouvoir, il s'en alla s'étendre
Au fond du coffre froid où son corps frissonnait.

Il était paresseux, à ce que dit l'histoire,
II laissait trop sécher l'encre dans l'écritoire.
Il voulait tout savoir mais il n'a rien connu.

Et quand vint le moment où, las de cette vie,
Un soir d'hiver, enfin l'âme lui fut ravie,

Il s'en alla disant : " Pourquoi suis-je venu ?"

 

 

GÉRARD DE NERVAL  ET L'ORIENT

  "Ne m'attends pas ce soir, la nuit sera blanche et noire" (1855)

Le 23 décembre 1842, Nerval quittait Paris pour un périple d'une année en Orient qui devait le conduire successivement en Égypte, au Levant et en Turquie. De ce séjour, de ce voyage entrepris dans la tradition romantique, le poète devait rapporter un récit intitulé Voyage en Orient. Cependant, c'est un tout autre voyage qu'il avait inauguré en 1840 - sa "vita nuova" - et qu'il accomplira avec l'expérience décrite dans Aurélia, en 1854, quelques mois avant sa mort tragique. Il s'agit cette fois de l'Orient au sens métaphysique du terme : que les gnostiques identifient au Yémen. - On ne dispose malheureusement que d'un seul terme pour désigner l'Orient géographique et ce "pôle au-dedans de nous-mêmes" qu'est l'Orient symbolique.

 



Où sont nos amoureuses?
Elles sont au tombeau.
Elles sont plus heureuses,
Dans un séjour plus beau!

Elles sont près des anges,
Dans le fond du ciel bleu,
Et chantent les louanges
De la Mère de Dieu!

O blanche fiancée!
O jeune vierge en fleur!
Amante délaissée,
Que flétrit la douleur!

L'éternité profonde
Souriait dans vos yeux...
Flambeaux éteints du monde,
Rallumez-vous aux cieux!

 

Gérard de Nerval


(1808-1855)

 

« Il vivait au jour le jour, acceptant avec reconnaissance, avec amour, chacune des belles heures de la jeunesse, tombées du sein de Dieu.
Il avait été riche un instant, mais par goût, par passion, par instinct, il n'avait pas cessé de mener la vie des plus pauvres diables. Seulement, il avait obéi plus que jamais au caprice, à la fantaisie, à ce merveilleux vagabondage dont ceux-là qui l'ignorent disent tant de mal.»

C'est Jules Janin, son ami, qui évoque ici le souvenir de Gérard Labrunie, dit Gérard de Nerval. Mais insouciance n'exclut pas inquiétude, et le poète qui perdit sa mère à l'âge de deux ans et vécut des amours malheureuses dont sa nouvelle Aurélia est le témoignage, nous laisse une oeuvre étonnante, sombre et douloureuse. Ses premiers poèmes (il commença à écrire très jeune) se rattachent à la tradition la plus classique de la poésie du début du XIXème siècle, et l'apparentent à André Chénier plus qu'à Arthur Rimbaud. Mais pour ses visions, ses délires et le récit de ses rêves, pour sa fin tragique (on le retrouva pendu à 47 ans), et pour ses voyages à la lisière de la folie, il fut reconnu par les Surréalistes et les écrivains du Grand Jeu nourris d'Esotérisme, comme un précurseur. Il est "le ténébreux, le veuf, l'inconsolé", la figure emblématique, avant Rimbaud et Artaud, du poète maudit, malmené par la société, incapable d'y trouver sa place, en l'honneur de qui Alfred de Vigny écrivit une magnifique plaidoierie dans sa pièce "Chatterton".

Piers Tenniel

 

 

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