«
Il vivait au jour le jour, acceptant avec reconnaissance, avec
amour, chacune des belles heures de la jeunesse, tombées du
sein de Dieu.
Il avait été riche un instant, mais par goût, par passion,
par instinct, il n'avait pas cessé de mener la vie des plus
pauvres diables. Seulement, il avait obéi plus que jamais au
caprice, à la fantaisie, à ce merveilleux vagabondage dont
ceux-là qui l'ignorent disent tant de mal.»
C'est
Jules Janin, son ami, qui évoque ici le souvenir de Gérard
Labrunie, dit Gérard de Nerval. Mais insouciance n'exclut pas
inquiétude, et le poète qui perdit sa mère à l'âge de deux
ans et vécut des amours malheureuses dont sa nouvelle Aurélia
est le témoignage, nous laisse une oeuvre étonnante, sombre et
douloureuse. Ses premiers poèmes (il commença à écrire très
jeune) se rattachent à la tradition la plus classique de la poésie
du début du XIXème siècle, et l'apparentent à André Chénier
plus qu'à Arthur Rimbaud. Mais pour ses visions, ses délires et
le récit de ses rêves, pour sa fin tragique (on le retrouva
pendu à 47 ans), et pour ses voyages à la lisière de la folie,
il fut reconnu par les Surréalistes et les écrivains du Grand
Jeu nourris d'Esotérisme, comme un précurseur. Il est "le
ténébreux, le veuf, l'inconsolé", la figure emblématique,
avant Rimbaud et Artaud, du poète maudit, malmené par la société,
incapable d'y trouver sa place, en l'honneur de qui Alfred de
Vigny écrivit une magnifique plaidoierie dans sa pièce
"Chatterton".
Piers
Tenniel
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