Emmanuel LASKER :
un arithméticien champion du monde.
1. Échecs et maths
2. Lasker biographie
3. Einstein et Lasker.
4. Le style Lasker
5. Le règne de Lasker
6. Gentleman fumeur de cigares
7. Le tournoi de New-York de 1924
8. La contribution mathématiques
9. La décomposition primaire
1. Échecs et maths
Quelques instituteurs n'hésitent pas à inclure
dans leurs programmes pédagogiques l'apprentissage du jeu d'échecs, plus
rarement le jeu de dames, le bridge ou encore le jeu de go. A mon avis, le
choix des échecs est le plus judicieux parce que plus ludique, et plus équilibré
du point de vue stratégique et tactique. Quoiqu'il en soit, la bonne
conduite d'une partie passe par l'analyse d'une situation, la création
d'un plan et son application. L'exécution de l'enchaînement jugement,
plan et coup est contrarié par les coups de l'adversaire, et apprendre à
garder le cap dans ce contexte développe des facultés intellectuelles et
psychologiques qu'on retrouve dans bien des domaines, et notamment dans
l'activité scientifique.
Quand ils analysent la démarche abstraite qui fait émerger un coup
d'une position, les joueurs d'échecs parlent d'art. L'art de bien jouer
aux échecs mélange l'art de la programmer des informaticiens et celui de
la création mathématiques. La plupart des mathématiciens se sont intéressés
aux échecs. Pour ma part, j'ai eu l'occasion de perdre quelques blitz
contre une médaille Field ! Résoudre une position, démontrer une
question mathématiques ou encore découvrir un algorithme procurent les mêmes
plaisirs.
Le web est un autre point de convergence des milieux
informatiques, échiquéens et mathématiques. En quelques années, ces
trois communautés ont créé des ressources remarquables. Les sites
sont particulièrement étoffés, généreux et surtout très bien
structurés incluant des forums de discussions très actifs nouveaux lieux
d'échanges et d'apprentissages.
Pourtant, les grands joueurs d'échecs mathématiciens de premier plan
ne font pas légion. Le (sincère) combat pour l'honneur de l'esprit
humain des uns et des autres relève chaque jour plus haut le niveau des
connaissances théoriques des deux disciplines et la compétition exacerbée
dans des deux camps n'arrange pas les choses : il n'y a jamais eu de médaille
Field championne du monde des échecs...
Quand il est question d'échecs et maths, le milieu échiquéen cite
invariablement le nom de Max Euwe (1901-1981) comme chef de
classe des mathématiciens joueurs d'échecs mais force est de constater
que les compétences mathématiques de l'ancien champion du monde n'ont
jamais été démontrée ! Bien entendu, dans cette note je
pars du principe qu'un joueur d'échecs possède un niveau de maître
international et qu'un mathématicien doit avoir défendu un doctorat et
publié dans un journal de mathématiques.
Le co-auteur de la célèbre immortelle, Adolph Anderssen (1818-1879),
a enseigné les mathématiques et obtenu le grade de docteur de
l'université de Breslau mais à titre honorifique pour ses résultats échiquéens
! Le premier champion du monde officiel Wilhem Steinitz qui fait
sortir le jeu d'échecs de sa période romantique par sa fameuse déclaration
: les pions sont l'âme des échecs, n'a rien à voir avec le mathématicien
Ernst Steinitz (1871-1923) de la clôture algébrique des corps.
Les homonymes ne facilitent pas les choses, certaines paires de famille
ajoutent à la confusion comme le mathématicien Ben Fine, fils du joueur
Reuben Fine, ou encore les frères James et Robert Tarjan, ou encore
les frères Jonathan et Roger Penrose ! Je ne l'ai pas encore vérifié
mais le système Steiner de la défense Caro-Kahn contre l'attaque
Panov n'a probablement rien à voir avec les systèmes de Steiner de la théorie
des configurations tactiques.
Dans un article récent (algebraic geometry between Noether and
Noether -- An forgotten chapter in the history of algebraic geometry) de
la revue d'histoire des mathématiques de la SMF, J. Gray écrit : il y
eu un flux continu de publications, répondant aux travaux de Hilbert
aussi bien que de Kronecker. Les mathématiciens hongrois Konig, Kurschak,
les français Molk et Jacques Hadamard, Emanuel Lasker et enfin le
professeur de lycée anglais Macaulay, ont tous publié abondamment sur le
sujet. Ces travaux sont étroitement liées à une étroite élaboration
progressive des notions d'anneau, de corps et autres concepts connexes.
Disons-le tout de suite, ces travaux sont d'une importance capitale
pour le développement de la géométrie algébrique, de l'algèbre
commutative et de l'arithmétique, trois disciplines particulièrement
techniques du champ des mathématiques. Le personnage Emanuel Lasker (1861-1941)
qui apparaît dans cette liste n'est autre que le second champion du monde
de l'histoire du jeu d'échecs. Après sa victoire sur Steinitz, il déclare
: le joueur a battu le penseur. Pragmatique aux échecs parce que
(probablement) penseur par ailleurs, Lasker est un véritable mathématicien
comme l'atteste la publication Zur theorie der
moduln und ideale que je résume plus loin. Champion du monde
pendant une vingtaine d'années, il perd son titre en 1921 contre le très
précis José Raoul Capabanca. Ainsi, sa brillante
carrière de joueur pragmatique semble avoir éclipsée ses travaux de
mathématiques qui précision utile ont été entrepris sous la direction
de David Hilbert.
Aux cours de mes premières lectures sur la géométrie algébrique, le
cours de géométrie algébrique de Jean Dieudonné, quand j'ai
rencontré le nom de E. Lasker, je ne l'ai automatiquement dissocié du
champion du monde tant il me semblait impossible que l'on puisse embrasser
à un tel niveau ces deux disciplines échecs et géométrie. Il ne
pouvait s'agir que d'un homonyme... L' homonyme qui existe bien en la
personne d'Édouard Lasker, cousin [???] d'Emanuel Lasker. Ingénieur
de son état, Édouard a inventé une machine à traire les vaches. Il
s'agit donc d'un *man et non pas d'un chess-man !!! Il existe aujourd'hui quelques maîtres internationaux mathématiciens,
une petite liste est proposée dans La page Chess and Mathematics du
professeur W. D. Joyner . Signalons la performance du grand maître
international John Nunn classé 2600 points élu et auteur d'une thèse en
topologie algébrique de l'université à Oxford. A condition d'inclure
les auteurs d'études et problémistes, Noam Elkies professeur de mathématiques
de université de Harvard est le chef de liste des joueurs d'échecs mathématiciens.
Ex-champion du monde dans la catégorie résolution de problème,
certaines de ses études apparaissent dans un ouvrage
du grand maître international Yusupov et du MI Dvoresky qui a entraîné l'équipe de France d'échecs pour les olympiades à venir.
2. biographie de Lasker
Emanuel Lasker est né le 24 décembre 1868 à
Berlinchen. Il part étudier les mathématiques à Berlin dés l'age de 11
ans. Son frère Berthold Lasker lui apprend les bases du jeu d'échec.
Vers ses quinze ans, il commence à se passionner pour les 64 cases, et
commence à gagner de l'argent de poche au café Kaiserhof de Berlin.
Quelques années après, il obtient le titre de maître des échecs. Bien
que professionnel des échecs à l'age de 23 ans, Lasker possède d'autres
champs d'intérêts. Il est docteur en mathématiques, sous la direction
de David Hilbert, il contribue au développement de la géométrie algébrique
en introduisant la notion d'idéal primaire. Mais avant tout, Emanuel
Lasker souhaite être perçu comme un philosophe. Il possède un doctorat
de philosophie et à écrit trois livres : le combat, comprendre le monde
et la philosophie de l'inaccessible. Vers la fin de sa vie, il s'intéresse
à la sociologie et écrit : la communauté du futur. Les grands esprits
se rencontrent, Lasker compte parmi ses amis le physicien Albert Einstein
avec lequel il débat de la connaissance de l'univers, au travers de la théorie
de la relativité.
Les échecs mettent en conflit
non pas deux intelligences,
Dans les deux parties qui suivent Bertholdt joue les blancs, Emanuel
les noirs, nous sommes
à Berlin en 1890, le futur champion du monde a tout juste 12 ans.
Bertholdt Emanuel
1. d4 d5 2. Nf3 Nf6 3. c4 e6 4. Nc3 c6 5. e3 Nbd7 6. Bd2 Bd6
7. Rc1 O-O 8. Be2 Ne4 9. Nxe4 dxe4 10. Ng1 e5 11. Bc3 Qe7 12.
d5 f5
13. dxc6 bxc6 14. Rc2 Bc5 15. Bf1 f4 16. exf4 exf4 17. Qh5
Bb4
18. Ne2 Ne5 19. Bxb4 Nd3+
0-1
Bertholdt Emanuel
1. Nf3 d5 2. d4 Nf6 3. c4 c6 4. cxd5 cxd5 5. Nc3 e6 6. Bg5
Be7
7. e3 O-O 8. Bd3 Nc6 9. Rc1 Bd7 10. O-O h6 11. Bh4 a6 12. Bb1
b5
13. Re1 g6 14. Ne5 Rc8 15. f4 Be8 16. Qf3 Kg7 17. Ne2 Ng8
18. Bxe7 Ngxe7 19. Nd3 b4 20. Nc5 Qb6 21. Bd3 Nb8 22. Rc2 Bb5
23. Bxb5 Qxb5 24. Nc1 Nd7 25. N1d3 Nxc5 26. Nxc5 Rc6 27. Kf2
Nf5
28. Rec1 Rfc8 29. Qe2 Qxe2+ 30. Kxe2 Ne7 31. Kd3 g5 32. fxg5
hxg5
33. Nxa6 Rxa6 34. Rxc8 Nxc8 35. Rxc8 Rxa2 36. Kc2 Ra1 37. Kb3
Re1
38. Rc2 Rxe3+ 39. Kxb4 Rd3 40. Kc5 Rb3 41. Rf2 f5 42.
Kd6 Kf6
43. Re2 Kf7 1/2-1/2
3. Lasker et Einstein
Quelques notes témoignent de relations amicales
entre Lasker et un autre champion, le physicien Einstein . En voici
une, tirée des Une des <<mille et une
anecdotes>> recueillies autour de l'échiquier par Claude
Scheidegger qui nous met sur la piste d'une relation d'amitié sincère
entre Lasker et un autre champion du monde, Albert Einstein.
Dans les années du début du 20e siècle, le café Romain était à
Berlin ce que le café de la Régence était à Paris : un lieu de
rencontres pour les personnalités du monde artistique et scientifique. Si
le rez-de-chaussée était réservé au café proprement dit,
au premier étage on jouait aux échecs. On y voyait souvent jouer le
grand Emanuel Lasker, mathématicien, philosophe et
champion du monde de 1894 à 1921 mais aussi de grands bonhommes tels que
les physiciens Max Planck (prix Nobel en 1918) et
Albert Einstein (prix Nobel en 1925). Un jour, Max Planck, faisait une
partie amicale avec Emanuel Lasker. Aucune de ces
parties, jusque-là , s'était soldée par la victoire du premier nommé,
on s'en doute. Aucune et pourtant, ce jour là, la position sur
l'échiquier était visiblement à l'avantage de Planck. Bizarre... Lasker
semblait jouer sans venin. Allait-on s'acheminer vers une
victoire de Planck ? Cela semblait de l'utopie. Mais pourquoi cette défaillance,
dans cette partie, et non dans les autres où Lasker
battait à plate couture n'importe quel amateur ? Il fallait voir derrière
cette soudaine décompression de l'ex-champion du monde (
il avait perdu son titre au profit de Capablanca) une facétie fomentée
par un spectateur, en l'occurrence Albert Einstein, qui était
de connivence avec son ami Lasker. Pendant la partie, Einstein, que l'on
à plutôt l'habitude de voir devant un tableau, rampa sous
la table et, délicatement relia à l'aide de lacets les bottes de Planck,
sans que celui-ci ne sentît quoique ce soit. Son travail de
taupe terminé, Einstein fit un clin d'?il à Lasker qui, aussitôt,
tendit la main à l'adversaire en signe d'abandon. N'en pouvant plus,
Max Planck exulte et s'écrie : " Je l'ai battu ! " Tout joyeux,
il se lève mais, ficelé, il perd l'équilibre et évite de justesse, en
se
retenant à la table, devant l'assistance hilare.
4. Le Style Lasker
Du point de vue de
Lasker , une partie d'échecs est un combat entre deux hommes, avant d'être
une discipline intellectuelle, artistique ou scientifique. Les débuts
de parties du Docteur Lasker sont modestes mais très variés. Lasker joue
tous les débuts ce qui lui permet de s?adapter au style de ses
adversaires. Il joue des débuts tranquilles contre Janowski, laisse venir
les attaques de Marshall etc... Le jeu de Lasker s'affirme dans les
milieux et les finales, une des caractéristique du style Lasker est de ne
jamais laisser filer un avantage substantiel, en particulier, Lasker écrase
littéralement les joueurs plus faibles ce qui n'est pas le cas de tous
les grand-maître !
Lasker ne joue pas , objectivement, le meilleurs coup, mais celui
qui crée le plus de problèmes à ses adversaires, les entraînant dans
des sentiers qu'ils ne connaissent pas très bien... A cause de cela, ils
se voient contraints d'adopter un style qui ne leur est pas familier...
Ils doivent surmonter des difficultés spécialement conçues pour eux.
Par conséquent, ils dépensent beaucoup de temps dans la première phase
du jeu et doivent prendre des décisions rapides lorsque la position
devient difficile. C'est à ce moment-là que Lasker investit toute son énergie.
Il est alors trop tard pour l'autre, qui s'effondre d'abord
psychologiquement, puis sur tous les plans.
Reti, les maîtres de l'échiquier ?
Lasker pousse sa méthode de combat au point d'obtenir des positions peu
recommandables et presque ridicules pour un champion du monde. Alekhine et
Fischer n'hésitent pas à qualifier Lasker de joueur de café. Pourtant,
ces deux perfectionnistes ne négligent pas la composante psychologique du
jeu, une arme fondamentale invariablement utilisée pour gagner du temps
Gaspiller son temps de réflexion est une erreur aussi grave que de
laisser une pièce en prise.
Alekhine.
L'excuse du manque de temps chez un maître expérimenté
ressemble à celle de l'assassin prétextant qu'il était ivre au
moment du crime.
Alekhine.
Dans la dernière ronde du tournoi de Saint-Pétersbourg,
Lasker affronte Capablanca avec les blancs dans une partie qui doit se
terminer par la victoire d?un des deux protagonistes. Le choix de
l'ouverture ? Une variante échange de l'espagnole ? L'ouverture ne
pose aucun soucis à Capablanca qui obtient même une position légèrement
supérieure. L'ivresse des bonnes positions commence à gagner le cubain
qui change de plan, avant de se fourvoyer, et perdre une
partie qui au départ lui est favorable. Une partie citée en exemple par
Capablanca dans son merveilleux traité « principes
fondamentaux du jeu d'échecs », pour illustrer la règle : «
quand un plan a été choisi, on ne doit plus en démordre sauf cas de
force majeure ». Dans l'analyse qui suit les commentaires de Capablanca
sont écrits en bleu, les miens en
noirs. Les commentaires en rouge sont
extrait du <<monde des échecs>> de Lessing et Saidy.
Lasker - Capablanca,
Saint-Pétersbourg, 1914.
Ruy Lopez, variante échange
1. e4 e5
2. Cf3 Cc6
3. Fb5 a6
4. Fc6 !
Expéditifs,
les blancs s'efforcent d'entrer de plain pied dans un milieu de partie
d'où les dames seront exclues. Ils vont disposer de quatre pions contre
trois sur l'aile roi, tandis que la majorité des pions adverses à l'aile dame a pour contrepartie un pion doublé. Par contre, un atout
dont peuvent se targuer les noirs leurs fait défaut : la paire de
Fous.
Ici, se place la variante
des échanges <<annulante>>. Le point d'exclamation n'est
ajouté qu'en raison des circonstances dans lesquelles Lasker a choisi
ce début.
4. --- dc6
La reprise 4. --- bc6
donne une meilleure structure de pions mais le prix à payer (sous
développement) est trop cher.
5. d4
Aujourd'hui, on préfère
jouer 5. o-o et 5. Cc3 avait la préférence d'Alekhine.
5.
ed4
L'encyclopédie nous
rappelle que la partie Lasker-Marshall du tournoi de New-York 1924
continua par 5. --- Fg4 6. de5 Dd1 7. Rd1 ooo 8. Re1 Fc5
9. h3 Fh5 10. Ff4 +-. Le développement du cavalier roi n'est pas
meilleur 5. --- Cf6 6. Ce5 c5 7. c3 cd4 8. Db3 +-, Post-Wagner, Hambourg
1921.
6. Dd4 !
Eh quoi ! Mais cela
provoque à l'échange des dames ? Le vieux routier est en train de préparer
une nulle. Encore une fois, le point d'exclamation après ce coup
parfaitement normal souligne le fait que cette partie, Laker doit la
gagner !
6. --- Dd4
Plus récente est la
continuation : 6. Fg4 7. Cc3 Ff3 8. Dd8 Td8 9. gf3 Fb4 10. Fd2 Ce7 11.
Td1
de la partie Spassky-Ivkov de
1964, avec un jeu égal.
7. Cd4 Fd6
Les
noirs veulent effectuer le petit roque. Ils estiment que la place du roi
est sur la brèche, à l'endroit le plus affaibli, où il pourra
s'opposer à l'assaut inéluctable des pions blancs. Si ce raisonnement
est théoriquement irréprochable, son efficacité reste à prouver sur
le terrain. L'échange de l'ensemble des pièces dans la situation présente
laisserait virtuellement les blancs avec un pion de plus et donc une
finale gagnante : cette particularité n?aura pas échappé au lecteur.
Mais on peut tout de même opter pour le grand roque :
(A) 7. --- Cf6 8. f3 Fd7 9. Fe3 ooo 10. Cd2 Te8 11. Rf2 g6 =
Lasker-Showalter, Cambridge-Spring 1904.
(B) 7. --- c5 8. Ce2 Fd7 9. Cbc3 ooo 10. Ff4 Fc6 11. o-o Cf6 12. f3
Fe7 = Lasker-Steinitz, 1894.
Mais dans les deux cas, les blancs auraient pu grand-roquer eux
aussi, non ?
8. Cc3
De tous les coups
jouables : 8.Fe3, 8.f4, 8.o-o, 8. Cc3 cette dernière possibilité
semble la plus indiquée.
8. --- Ce7
Les
noirs adoptent un développement d'une solidité à toute épreuve.
Aucun autre système ne peut leur procurer de telles facilités de temps
et d?espace pour la mise en jeu du cavalier qui occupe en e7 sa position
naturelle : il n'y crée nul obstacle aux pions noirs, peut au besoin
venir en g6, voire même sur d4 via c6 après la poussée c6-c5.
9. o-o !
Ainsi commence l'attaque
<<psychologique>>. Déployer le fou, puis roquer du coté de
la dame est plus logique, mais Lasker tient à donner à penser à son
adversaire. Que va faire Capa ? Le mieux serait de lancer son fou de la
dame et de faire le grand roque. Mais il craint une combinaison élaborée
et il imite le coup de Lasker. Ainsi s'inscrit le premier point
psychologique du vieux stratège.
9. --- o-o
Capablanca nous a expliqué
son choix concernant le roque. Quand est-il des blancs ? Le roque immédiat
est probablement une erreur. 9. Fe3 est meilleur. On le voit bien,
la simplicité de la position n?est qu?illusoire.
10. f4
Depuis l'époque de la partie, mon opinion n'a pas varié. Ce coup n'est
pas bon. Il affaiblit le pion e4 à moins que ce dernier ne vienne sur
e5, et donne en outre aux noirs une possibilité de clouage du cavalier
d4 par Fc5.
10. --- Te8
C'est le
mieux. Ce coup menace : Fc5, Fe3, Cd5. Il empêche également Fe3 en
raison de Cd5 ou Cf5.
11. Cb3
Pourquoi pas 11. Rh1 !?
11. --- f6
Pour préparer b6, puis c5, Fb7 de concert avec Cg6, et les blancs
seront bien en peine de repousser l?attaque conjuguée sur leurs pions
centraux « e » et « f ».
11. --- Fe6 aurait été
préférable.
12. f5
Un
coup très controversé !
On
a prétendu que c?est ce coup qui gagne la partie. Rien n'est plus faux.
Mon rêve : retrouver une telle position. Il m?a fallu accumuler les
erreurs par la suite pour finir par perdre.
Ce
coup resserre les pièces ennemies, mais ne laisse-t-il pas, selon les
théories modernes, un pion à la traîne en e4 ? La manière dont Lasker
transforme ce désavantage en atout deviendra évidente.
12. --- b6
13. Ff4 Fb7
Un coup
dicté par l'inspiration plus que par le raisonnement. Je devais
naturellement jouer 13. --- Ff4. Voici la variante du Dr. Lasker : 14.
Tf4 c5 15. Td1 Fb7 16. Tf2 Tad8 17. Td8 Td8 18. Td2 Cd2, et à son avis
les blancs ont le meilleur. Nimzovitch, cependant, remarqua aussitôt
après la partie que le 16e coup de la variante du Dr. Lasker , 16. ---
Tad8, n'était pas le meilleur. Sur 16. --- Tac8 !, les blancs auront le
plus grand mal à annuler, car ils ne disposent d'aucun moyen
satisfaisant pour empêcher les noirs de jouer Cc6 suivi de Ce5 avec la
menace Cc4. Si les blancs cherchent à prévenir cette manoeuvre en
retirant leur cavalier b3, ils cèdent la case d4 au cavalier adverse et
leur pion e4 devient la cible d?une attaque. Dans la variante du Dr.
Lasker, l?avantage supposé des blancs disparaît dès la réplique 19.
--- Cc6 avec les menaces Cb4 et Cd4 qui ne peuvent en aucun cas être
parées. S?ils répondent 20. Cd5, les noirs jouent 20. --- Cd4 qui leur
assure au moins la nullité. En fait, après 19. --- Cc6, les noirs
multiplient leurs menaces à tel point que l'on voit mal comment leur
adversaire pourra éviter de perdre un, voire plusieurs pions.
On peut faire confiance au
jugement de Capablanca mais en pratique après 20. Cd4, les blancs
consolident leur position par le simple 21. Ce3 et, il est certain que
la plus part des amateurs n'arriveront pas à défendre la finale avec
le camp noir.
14. Fd6
Encore un apparent défi à la théorie. Les pions
doublés sont tenus pour désavantageux, et pourtant ici Lasker dédouble
délibérément les pions noirs. Pourquoi ? Parce que le pion doublé ne
peut pas être attaqué, mais maintenant Lasker vise le pion noir en d6.
En même temps, avec le trou béant du camp noir en e6, on voit se
dessiner la trame victorieuse.
14. ---
cd6
15. Cd4
Fait étrange,
mais bien réel : je n'avais pas prévu ce coup avant de jouer 13. ---
Fb7 et c'est la raison pour laquelle je n'ai pas effectué le coup exact
13. --- Ff4.
15. --- Tad8
La partie est loin d'être
perdue. Les noirs peuvent pousser c6-c5 puis d6-d5 pour répliquer à
l'irruption du cavalier dans leur camp.
16. Ce6 Td7
17. Td1
Sur
le point de jouer 17. --- c5 puis d6-d5 ce qui assurait la nullité
selon toute apparence, je me sentis brusquement saisi d?ambition. Je
jouai 17. --- Cc8. Je voulais sacrifier la qualité contre un pion en
prenant le cavalier e6, ce qui affaiblit encore le pion e4. Suivant les
circonstances, ce plan devait intervenir avant ou après la poussée
g7-g5. Passons à l?analyse : 17. --- c5. Sur 18. Cd5 Fd5 19. ed5 b5 et
l?examen le plus minutieux montre que les noirs n?ont rien à craindre.
Dans cette variante, les noirs finiront par poster leur cavalier sur e5
via c8, b6 et c4 ou d7. Revenons à 17. --- c5. Sur 18. Tf2, alors 18.
--- d5 19. ed5 Fd5 ! 20. Cd5 (le meilleur, car 20. Tfd2 Fe6 donne
l?avantage aux noirs) Td5 21. Td5 Cd5. On ne voit pas comment les noirs
peuvent perdre.
Sur cette variante de JRC
les blancs conservent un avantage par 22. Td2 Ce3 23. Tb6.
17. --- Cc8
18. Tf2 b5
19. Tfd2 Te7
20. b4 Rf7
21 a3 Fa8
Nouveau
changement de plan, cette fois sans la moindre bonne raison. Si j'avais
joué 21. ---Te6 22. fe6 Te6 comme je l'avais initialement prévu lors
du recul du cavalier sur c8, la victoire finale des blancs devenait à
tout le moins fort aléatoire et même, à mon sens, peu vraisemblable.
L'avantage
spatial des blancs devient manifeste. Mais comment ouvriront-ils la brèche
? Capa est réputé pour son art de mettre au point des défenses sans
faille. Lasker, calmement, construit sa position; il n'est pas pressé.
22. Rf2 Ta7
23. g4 h6
24. Td3 a5
25. h4 ab4
26. ab4 Te7
Il
va de soi que ce coup n'a plus de raison d'être dans le contexte
actuel. En plein cafouillage, les noirs cherchent que faire. Il eût
mieux valu jouer 26. Ta6 pour garder la colonne ouverte, et menacer en même
temps d?une irruption du cavalier par b6 et c4.
Les blancs dominent cette
fin de partie, ce coup l?atteste : JRC a complètement perdu le
contrôle de la partie. Le sacrifice de qualité était encore à
envisager. Curieusement, Lasker ne profite pas de la colonne abandonnée
par le cubain et préfère avancer le roi.
27. Rf3 Tg8
28. Rf4 g6
Encore mauvais. Les deux derniers coups des blancs étaient faibles : à
cette place, le roi n'est d?aucune utilité. Il fallait jouer Tg3 dès
le 27e coup. Quant aux noirs, ils devaient donner échec par 28. --- g5.
Les noirs ayant laissé passer leur chance, les blancs vont désormais
mener la partie à leur guise et déployer en finale un jeu
remarquablement précis, tandis que chaque coup verra croître le désarroi
des noirs. La finale se passe de commentaires. Soulignons cependant le
peu de caractère dont j'ai fait preuve tout au long de cette partie.
Quand un plan a été choisi, on ne doit plus en démordre sauf cas de
force majeure. A mon avis, le 10e et le 12e coup des blancs étaient très
faibles. Après quoi leu jeu fût sans reproche jusqu'au 27e coup qui était
mauvais tout comme le 28e. La fin de partie fût bonne et peut-être même
parfaite.
Autrement le pion g5
serait trop fort, irrésistible.
29. Tg3
g5+
30. Rf3
Si 30. hg5 fg5+ 31. Rf3 Th8; les noirs gagnent un
peu de contre-jeu.
30. ---
Cb6
31. hg5
Si 31. Td6 alors 31. ... Cc4 suivi de Ce5+
donne aux noirs un bon jeu.
31. ---
hg5
32. Th3
Td7
33. Rg3!
Re8
34. Th1
Fb7
Si 34. --- Cc4 35. Ta1 gagne le fou noir.
35. e5
Le coup de grâce.
Et maintenant le camp
blanc se débarrasse enfin du pion retardataire avec un effet
surprenant. Les noirs sont forcés d'accepter le sacrifice. Les blancs
ont simplement vidé la case e4 pour leur cavalier de la dame, dont
l'entrée dans la bataille décide de l'issue.
35. --- de5
36. Ce4 Cd5
37. Cc5 Fc8
Si c'est la tour qui se déplace,
38. Cb7 Tb7 39. Cd6 donne le gain de la tour.
38. Cd7 Fd7
39. Th7 Tf8
40. Ta1
Ce qui amorce un magnifique
balayage des cases de l'échiquier, bon moyen de finir la partie.
40. --- Rd8
41. Ta8 Fc8
42. Cc5
Le camp noir ne peut prévenir
l'échec victorieux du cavalier en e6 ou b7.
Les noirs abandonnent.
5. Le règne de Lasker
Dans son match contre Tchigorine, le grand Steinitz
sauve son titre de champion grâce à une énorme gaffe du russe. Peu après,
et à la surprise générale, c'est le jeune Emanuel Lasker qui met fin
aux 28 années de règne du roi Steinitz sur le score sans appel +10 =5
-5, 10 gains, 5 parties nulles et 5 défaites. Une revanche est organisée
deux ans plus tard en 1896 à Moscou, c'est la catastrophe pour Steinitz
qui perd 10 parties et n'en gagne que 2. Philosophe, Lasker déclare : le
joueur a battu le penseur. Le grand Steinitz perd définitivement son
titre, et la raison pour sombrer dans la folie et la misère comme
termineront d'autres grands joueurs par la suite.
Anderssen incarnait le jeu romantique,
Steinitz le jeu scientifique, Lasker le jeu psychologique. Lasker n'est
pas un théoricien des échecs, il n'existe pas de variante Lasker, comme
il l'avoue lui même, il ne sait pas jouer les débuts de parties ! Son
jeu n'est pas spectaculaire, il est efficace. Lasker sait détecter les défauts
et les faiblesses de ses adversaires. Il n'hésite pas à se mettre dans
une position inférieure pour mettre en confiance son adversaire qui finit
par relâcher sa garde et c'est la phase de jeu dans laquelle Lasker place
toute son énergie pour trouver des ressources gagnantes.
Lasker ne veut pas finir misérable comme Steinitz,
il gère son titre qu'il met en jeu assez rarement, uniquement si la mise
en vaut la peine. Les américains mettent 1000 Dollars sur la table pour
donner une chance à Marshall. Le match à lieu à New-York, et malgré
son style spectaculaire et agressif, le fougueux Frank Marshall s'incline
sans gagner la moindre partie sur le score +8 =7 -0.
Franck Marshall - Richard Réti deux styles diamétralement
opposés.
Lasker n'aura pas trop de mal à appliquer sa technique contre le jeu
beaucoup trop dogmatique Siegbert Tarrash. Le Paeceptor Germiniae
s'incline dans le match de Düsseldorf-Munich sur le score sans appel +8
-3 =5. Pas de quartier dans le match de Paris qui oppose Lasker au le
brillant joueur d'attaque David Janowski +8 =3 -0. En 1910, Lasker
conserve son titre de justesse lors de la confrontation avec Karl
Schlechter qui se termine sur le score serré 1 gain, 1 défaite et 8
parties nulles.
Force est de constater que seul un style impeccable
pouvait venir à bout du règne de Lasker. le prodigieux Harry Nelson
Pillsbury, et surtout le grand joueur de position Akiba Rubinstein
auraient peut-être pu battre Lasker. Hasard de calendrier ou pas, ces
deux éphémères des 64 cases n'eurent pas leur chance.
Finalement, c'est le cubain José Raoul Capablanca
qui a la force, et l'honneur de détrôné Lasker dans le match de 1921
joué à la La Havane. Avec philosophie, Lasker admet la supériorité du
jeu de son rival tout en se reprochant un manque de préparation. Il
continue à briller dans les grands tournois, il termine premier au
tournoi de New-York de 1924 devant Capablanca, Alekhine, Marshall, Reti,
Maroczy, Bogolioubov, Tartacover, Yates, Janowski et Édouard Lasker, son
homonyme !
En 1925, il se met à la retraite échiquéenne.
Quelques années après, confisqué de tous ses biens par le régime nazi,
il est contraint de rejouer aux échecs pour gagner sa vie. Il gagne
encore quelques tournois forts relevés par les joueurs de la nouvelle génération
Capablanca, Tartacover, Euwe, Botvinik, Reshevsky etc... En 1935, il prend
un poste pour travailler à la faculté des sciences de Moscou. Trois ans
plus tard, il émigre vers les États-Unis pour enseignes les échecs.
6. Gentleman fumeur de cigares
Un des auteurs du superbe livre <<Le
monde des Échecs>> (je pense qu'il s'agit de Norman
Lessing) nous rapporte sa rencontre avec le champion du monde au cours
d'une simultanée organisée au Stuyvesant Chess Club de New-York
peu de temps après l'extraordinaire performance de
1924. Le jeune Lessing Norman est
le seul des cinquante joueurs à tenir tête au champion. Le champion est
au trait avec les blancs dans la position du diagramme
ci-contre :
Le matériel est égal mais la minorité noire bloque
l'aile dame, les blancs manquent un peu d'air et une manoeuvre de
triangulation donnent le gain aux noirs :
1. Rh3 Rf6 !
2. Rh2 ! Re6 3. Rg2 Re5
4. c3 Rf5 5. Rh3 g4+ 6.
fg4 Rg5
Et Lasker est contraint à l'abandon.
Ayant subi l'épreuve épuisante de jouer contre cinquante
adversaires, Lasker aurait mérité à coup sur quelque indulgence s'il
avait manifesté une légère mauvaise humeur de voir ternir son record
parfait. Au lieu de cela, il se pencha à travers la table, passa la
main dans les cheveux de son jeune adversaire (lui soufflant au visage
par inadvertance, faut-il le préciser ? la fumée de son cigare ) et
dit, avec son chaleureux et aimable sourire :
<< c'est un plaisir de perdre aussi belle fin de partie.
Mes félicitations, jeune homme !>>
On n'aurait pas plus été surpris que le jeune joueur de
treize ans ait été destiné à passer sa vie entière au service
de Caissa, ou qu'il ait conçu une passion tout aussi durable pour le
cigare...
Extrait du monde des échecs de Norman Lessing et Anthony Saidy.
7. Le Tournoi de New-York de 1924
En 1924, la ville de New York organise un tournoi
très relevé auquel participent des joueurs de premier plan. Il s'agit
d'un tournoi fermé à onze joueurs en vingt-deux rondes, tous les joueurs
s'affrontent en deux parties. Trois champions du monde sont présents :
Emanuel Lasker qui a perdu son titre en 1921 quelques années auparavant
contre José-Raoul Capablanca. Alexandre Alehkine qui succédera au cubain
en 1927 suite au match marathon de Buenos Aires (dix semaines)
+6 -3 =25. Les huit autres joueurs sont Janowski, Tartakower, Maroczy,
Bogoljubov, Marshall, Reti, Yates et Édouard Lasker.
Le tirage n'ai pas favorable pour les champions qui
doivent s'affronter dans les premiers tours. Lasker commence très bien,
il annule contre Capablanca à la deuxième ronde et bat Alekhine dans la
troisième. A partir de là, il gère son tournoi avec intelligence,
annulant contre les plus forts et gagnant les plus faibles. Il termine
comme une fusée marque 6,5 points dans les 7 dernières parties.
Dans la dernière partie, quand Marshall offre
son roi à Lasker, des tonnerres d'applaudissements éclatent pour saluer
l'exploit de l'ancien champion du monde. Âgé de 56 ans, il vient de
s'offrir une superbe revanche contre Capablanca en gagnant le plus fort
tournoi de tous les temps. C'est le moment qu'il choisit pour prendre sa
retraite de la haute compétition.
Bien plus tard, parce que spolié de ses biens par le régime
national-socialiste, Lasker devra jouer par nécessité. Je vous propose
de revivre ronde par ronde le parcours de Lasker.
ronde 1 |
repos |
|
|
|
ronde 2 |
|
|
Capablanca |
1/2 |
ronde 3 |
Alekhine |
|
|
1 |
ronde 4 |
Janowski |
|
|
1 |
ronde 5 |
|
|
Tartakover |
1/2 |
ronde 6 |
|
|
Lasker Ed. |
1/2 |
ronde 7 |
Maroczy |
|
|
1 |
ronde 8 |
Bogoljubov |
|
|
1 |
ronde 9 |
Marshall |
|
|
1/2 |
ronde 10 |
|
|
Reti |
1 |
ronde 11 |
|
|
Yates |
1/2 |
ronde 12 |
|
|
Janowski |
1 |
ronde 13 |
|
|
Bogoljubov |
1 |
ronde 14 |
Capablanca |
|
|
0 |
ronde 15 |
|
|
|
|
ronde 16 |
Reti |
|
|
1 |
ronde 17 |
Yates |
|
|
1 |
ronde 18 |
|
|
Alekhine |
1/2 |
ronde 19 |
Laskler Ed. |
|
|
1 |
ronde 20 |
|
|
Maroczy |
1 |
ronde 21 |
Tartakover |
|
|
1 |
ronde 22 |
|
|
Marshall |
1 |
8. La contribution de mathématiques
Pour les mathématiciens de la Grèce antique, les nombres sont géométriques.
Un nombre est représenté par segment qu'il mesure par le choix d'une
unité, une surface représente un produit. L'algèbre des grecs est géométrique. La
géométrie devient algébrique avec l'introduction des coordonnées cartésiennes
par Descartes et Fermat au milieu du 17-ieme siècle.
Dés lors, on peut parle de degré de courbes, surfaces etc... Le théorème
de Bézout, affirme que deux courbes de degrés m et n sans composantes
communes se coupent en au plus mn points. Une courbe plane de degré n est
déterminée par n(n+3)/2 coefficients alors que deux courbes générales
de degré n se coupent en n^2 points : c'est le paradoxe de Cramer !
Fermat, Euler puis Newton se lancent dans les problèmes de
classifications des quadriques, cubiques et quartiques. Mais cette géométrie
est d'une lourdeur extrême. Deux centaines d'années après Desargues,
Monge et Poncelet introduisent les points à l'infini, la géométrie
devient projective. Les énoncés se simplifient à l'image du théorème
de Bézout. Dans le plan projectif, deux droites distinctes se coupent en
un et un seul point, deux cercles distincts s'intrinsectent en exactement
quatre points.
Au début du XIXieme, Riemann ouvre une nouvelle voie, celle de
la géométrie bi-rationnelle qui consiste à observer un objet géométrique
non seulement au travers de ses points mais aussi (surtout) au travers de
l'espace de ses fonctions. Les notions de zéros et de pôles deviennent
capitales, elles conduisent au genre d'une courbe et au théorème de
Riemann-Roch.
L'école algébrique naît en 1882 des mémoires de Kronecker et
Dedekind -Weber qui sont les premiers à prendre conscience des profondes
analogies entre la géométrie algébrique et la théorie des nombres. Ils
inventent les notions de dimension, d'idéaux et de variété irréductible
et associent à un ensemble algébrique X de
C[X1,...,Xn] l'idéal I(X)
des polynômes qui s'annulent sur X.
Aux points de X correspondent les idéaux
maximaux de A/I(X). Quand Kronecker
montre que la primalité de I(X) entraîne
l'irréductibilité de X, il
pressent l'existence d'une réciproque mais sa définition d'idéal
premier est imparfaite.
En 1905, Emanuel Lasker introduit la notion d'idéal primaire. Il démontre
que tout idéal de C[X1,...,Xn] s'écrit
comme une intersection d'idéaux primaires. Un résultat qui fournit la réciproque
du théorème de Kronecker.
9. La décomposition primaire
Soit A un anneau commutatif. Le
lecteur connaît la notion d'idéal premier et maximal. Pour lui rafraîchir
la mémoire, un idéal P
est dit premier si le produit xy de
deux éléments de A ne peut être
dans P sans que x
ou y le soit. Ce qui est équivalent
à dire que le quotient A/P est
un anneau intègre, c'est un corps si et seulement si P
est maximal dans A.
Un idéal Q de A
est dit primaire si le produit xy
de deux éléments de A, x dans A\Q, ne peut être dans Q
sans qu'une puissance de y ne le soit.
En d'autres termes, les diviseurs de zéros de l'anneau quotient A/Q
sont tous nilpotents. Notons bien qu'idéal premier est primaire mais que
la puissance d'un idéal premier n'est pas forcément primaire. Si Q
est primaire alors il existe un et un seul idéal premier P inclus dans Q
formé des éléments de A dont la
classe est un diviseur de zéro dans A/Q.
On dit que Q est au-dessus de P.
Exercice. Soit Q un idéal contenant une
puissance d'un idéal maximal M. Montrez que Q est primaire. La
condition maximal ne peut-être relâchée. Considérez A l'ensemble des
polynômes à coefficients entiers dont le terme de degré 1 est divisible
par un nombre premier p. Montrez que A est un anneau et que l'idéal
P=(pX, X^2) est premier mais que P^2 n'est pas primaire.
Théorème de Lasker. Dans un anneau Noetherien,
un idéal se décompose d'une et une seule façon comme une intersection
d'idéaux primaire.
La démonstration ne pose pas de problème à l'étudiant du XXieme siècle.
Soit X l'ensemble des idéaux propres
de A qui ne possèdent pas de décomposition
primaire. Si X est vide c'est fini,
sinon on utilise la noetherianité de A
pour extraire un idéal I maximal
parmi ceux qui ne sont pas décomposables. Il existe un élément a
non-inversible et non nilpotent modulo I.
On utilise une seconde fois la Noetherianité pour dire qu'il existe un
endomorphisme T de A/I
(une certaine puissance de la multiplication par a) tel que ker
ToT = ker T. On en deduit que ker T
et Im T sont disjoints. Ils se relèvent
dans A en deux idéaux qui contiennent
strictement I et dont l'intersection
vaut exactement I. On en déduit que I
est une intersection d'idéaux primaires, c'est donc une
intersection d'idéaux primaire. Une contradiction qui prouve que X
est vide !
|