Conte Étimologique

 

 

 

Tonnerre des Eaux

 

Texte de Louis Landry, extrait de Glausgab le protecteur (sous le titre Les Otnéyarés, géants de pierre), © éditions Médiaspaul, Montréal.

Louis Landry a remanié une foule de courts récits tirés de légendes algonquines. Les Otnéyarés sont des êtres malfaisants, des monstres que doit affronter Glausgab, un grand manitou. Il réussira à débarrasser le pays de leur présence et c’est justement ce succès qui donnera naissance à la cataracte du Niagara.

Un jour Glausgab entendit raconter que des géants de pierre envahissaient des villages, tuaient tous les habitants, puis les dévoraient. Ces monstres venaient du sud et se dirigeaient vers les Grands Lacs.

Glausgab se rendit par-là pour voir comment ça se passait. En plein milieu de la journée, des hommes costauds, plus grands que la moyenne, avec une peau brune et rugueuse, formaient un cercle autour d’un village en refermant le cercle.

Les habitants avaient beau lancer sur eux tout ce qu’ils pouvaient : des flèches, des lances ou des cailloux, tout se brisait sur les géants comme sur de la pierre. Les Otnéyarés, c’était leur nom, continuaient leur marche comme si de rien n’était. Ils tuaient tous les hommes, toutes les femmes, tous les vieillards et tous les enfants, du premier au dernier, sans en excepter un seul et ils mangeaient leurs malheureuses victimes. Après cet horrible festin, ils se couchaient sur le sol et ils s’endormaient sans remords.

C’est à une scène semblable que Glausgab assista dès qu’il fut arrivé dans le territoire des Otnéyarés. Quand les géants de pierre s’endormirent, Glausgab alluma sa pipe et réfléchit. Il n’avait jamais rien vu de pareil et il se demandait bien qui étaient ces géants de pierre, ces Otnéyarés. C’était sans doute des monstres ou des sorciers venus d’un autre monde, car il ne connaissait rien de semblable dans ce monde-ci. Ce n’est que le lendemain qu’il comprit le secret des Otnéyarés. Le lendemain matin, avant le lever du soleil, Glausgab vit quelques Otnéyarés se lever, et allumer un grand feu. Sur le feu, ils mirent une grande marmite et y jetèrent de la gomme de sapin et de pin. Quand la gomme fut réduite en liquide, ils s’enduisirent de résine le corps en entier. Ensuite, ils se roulèrent dans le sable. Le sable et des brindilles leur collèrent à la peau et s’y figèrent. Cette carapace jaune et brune semblable à de la pierre, donnait aux Otnéyarés un aspect repoussant qui épouvantait leurs victimes. Tous firent de même.

Après cette toilette toute particulière, ils reprirent leur marche terrifiante vers le nord.

Après leur départ, Glausgab se rendit près de la marmite, et il se fit une carapace d’Otnéyaré. Puis il alla rejoindre le groupe et en prit les devants. Il se tourna vers eux et les fit arrêter.

- Je suis votre chef, dit Glausgab.

- Nous n’avons pas de chef, dirent les Otnéyarés, et nous n’en avons pas besoin.

- Je peux faire de vous, dit Glausgab, les plus grands et les plus puissants géants du monde.

À ces mots, Glausgab se mit à grandir lentement, à vue d’œil. Les Otnéyarés, stupéfaits, regardaient Glausgab qui continuait à grandir.

- Nous voulons t’avoir pour chef, dirent les Otnéyarés.

Car les géants les plus grands et les plus puissants ne peuvent pas se contenter de mener une petite vie tranquille de géants grands et puissants. Ils veulent toujours devenir encore plus grands et encore plus puissants, les plus grands et les plus puissants du monde.

Glausgab leur demanda de se tenir tous par la main, et il se plaça lui-même entre eux. Alors, en grandissant, il les fit grandir avec lui.

Chacun s’émerveilla de ce qui leur arrivait tout ensemble. Mais, si l’un lâchait la chaîne ainsi formée, il rapetissait aussitôt et tous les autres Otnéyarés à sa suite. Seuls ceux qui tenaient la chaîne dont Glausgab était un maillon gardaient leur taille surnaturelle.

Quand tous eurent compris qu’ils ne valaient pas grand-chose sans leur nouveau chef, les Otnéyarés reprirent leur marche, avec Glausgab à leur tête.

C’était, à travers bois, une marche terrible, lente, lourde, sourde, craquante. Les arbres sur la route se couchaient sous leurs pas, formant comme un sillon dans un champ de blé d’Inde. Et leur taille augmentait, de même que leur poids. Et leurs pieds s’enfonçaient maintenant dans le sol.

Glausgab les dirigeait entre deux grands lacs. Tout à coup, il fit doubler leur taille en un instant. Le sol s’ouvrit sous les Otnéyarés. Tous roulèrent dans le précipice, pêle-mêle, comme une avalanche de gros cailloux. L’eau du lac en amont se précipita dans le lac en aval, dans un fracas épouvantable, en une immense cataracte qui prit le nom de Niagara, c’est-à-dire, tonnerre des eaux.

 

 

Contes

Contes éthimologiques

 

Accueil