Il
y a très longtemps, un vieil Indien vivait avec son
neveu. C'était un jeune garçon souple et vif qui
s'appelait Hiyatgau.
-
Tu es assez vieux pour chasser seul, dit un jour le
vieil homme. Va, abats un cerf. Je t'apprendrai à
tanner la peau.
Hiyatgau
partit.
À
peine entré dans le bois il vit un cerf qu'il tua avec
ses flèches.
Fièrement,
il rapporta la bête à son oncle.
Celui-ci
dépouilla l'animal ; il sécha la peau puis
l'assouplit.
-
Hiyatgau, mets cette peau sur toi et vois si l'on peut
t'y tailler une chemise.
Hiyatgau
essaya la peau du cerf.
-
Non, il n'y en a pas assez. Il faut une autre peau, dit
le vieil homme.
Hiyatgau
retourna chasser. Il tua un cerf.
Les
deux peaux cousues ensemble pouvaient suffire à faire
une chemise, mais l'oncle ne semblait pas satisfait.
-
Une chemise, c'est bien, mais il faut aussi des jambières.
Va, abats un autre cerf.
Hiyatgau
tua facilement un troisième cerf plus gros que les
autres. L'oncle tanna les peaux pour des jambières,
puis réclama encore une prise :
-
Il te faut aussi des mocassins, car bientôt nous aurons
très froid.
Hiyatgau
connaissait la sagesse de son oncle et ne discutait
jamais ses ordres. Il retourna donc chasser et rapporta
un quatrième cerf dont la peau fut bientôt apprêter
par l'oncle.
-
Pendant que je couds ces peaux avec une lanière, va
vite chasser un ours pour te faire une couverture.
Le
jeune homme quitta la hutte. Il surprit un ours près
d'une colline et tira une de ses flèches, mais son arc
était trop faible et la flèche ne traversa pas la peau
de l'ours. La même chose se produisit à deux reprises.
Hiyatgau,
agacé, retourna voir le vieil homme.
-
Mon arc n'est pas assez fort pour tuer un ours.
-
Alors, il t'en faut un autre, dit l'oncle.
Il
prit une branche de noyer et la plongea dans l'eau de la
rivière pour la ramollir. Il façonna un arc puissant
pour son neveu. Puis il tailla des flèches dans des
branches bien droites et durcit la pointe dans le feu.
Hiyatgau s'en alla dans la forêt, fier de sa nouvelle
arme. Au bout de quelques heures, il revient avec un
gros ours qu'il traînait derrière lui.
L'oncle
dépouilla la peau, l'étira. Hiyatgau l'aida à découper
la viande. Ensemble, ils la firent cuire et ils en
mirent à sécher une certaine quantité.
L'oncle
fondit la graisse de l'ours sur le feu et en remplit la
vessie. Cela ressemblait à un gros sac qu'il suspendit
au toit de la loge.
Hiyatgau
regarda son oncle qui finissait de coudre la chemise
pour lui. Les jambières et les mocassins étaient déjà
terminés.
Lorsque
tout fut prêt, le vieil homme dit :
-
Voici des vêtements chauds pour te préserver du froid.
Mais il te faut encore une cuillère en bois. Car cette
nuit j'ai rêvé que le prince du Gel s'en venait.
-
Qui est le prince du Gel ? demanda Hiyatgau.
L'oncle
ne répondit pas.
Hiyatgau,
intrigué par le visage préoccupé de son oncle qui
entourait tous ces préparatifs de grand mystère, se
mit à crier :
-
Il n'a qu'à venir ce prince du Gel, je le tuerai !
-
Ah ! malheur, le prince du Gel a dû t'entendre !
Puisque tu le provoques, tu devras l'affronter. Va, tue
d'autres ours, tu en auras besoin.
Hiyatgau
était un peu inquiet, mais il partit quand même à la
chasse. Chaque jour, il tua un ours et un cerf. Tout au
long de l'été, il regarda son oncle occupé à tanner
des peaux, à tailler la viande et à remplir des
vessies avec la graisse des bêtes abattues.
Hiyatgau
ne pensait plus au prince du Gel, tant il était heureux
de chasser.
Lorsque
arriva l'automne, le vieil homme répéta ses mises en
garde :
-
Le prince du Gel ne va pas tarder. Va donc tuer des
ratons laveurs, car ils sont gras en cette saison.
Hiyatgau se demandait bien à quoi servirait tout ce
gras que son oncle versait dans les outres. Il se
demandait aussi qui était ce personnage dont parlait
son oncle avec une crainte qu'il n'arrivait pas à
cacher.
Comment
allait-il donc falloir se mesurer avec lui ?
«
Je saurai bien me défendre, pensait Hiyatgau, avec mon
nouvel arc si robuste ! »
Mais
pourtant l'inquiétude qui perçait dans la voix de son
oncle le laissait perplexe.
Ce
soir-là, Hiyatgau revient du bois avec trois ratons
laveurs qu'il avait tués. Son oncle lui dit :
-
Ramasse maintenant du bois mort pour le feu.
Le
jeune homme ramassa deux tas de bois sec. Il en mit un
près de la porte de la loge, l'autre à l'intérieur.
Puis,
conseillé par son oncle, il prépara des torches avec
de belles branches de tilleul.
-
Cette nuit, j'ai rêvé qu'un homme m'avait donné
rendez-vous dans la forêt près de la rivière.
-
Ah ! c'est le présage que j'attendais dit l'oncle.
Enfile ta chemise et tes jambières. Mets aussi tes
mocassins.
Hiyatgau
s'habilla et, sous le regard de son oncle, il partit
dans la forêt vers le lieu de rencontre indiqué dans
son rêve. Au pied d'un buisson d'aulnes, Hiyatgau
distingua un homme très grand qui semblait l'attendre.
En s'approchant, il vit qu'il était fait de glace.
-
As-tu dit que tu tuerais le prince du Gel ? fit une voix
dure.
-
Oui, c'est ce que j'ai dit, répondit Hiyatgau qui
n'osait pas mentir.
-
Je suis le prince du Gel. Réglons tout de suite cette
affaire, dit l'homme.
Hiyatgau
ne sachant trop ce qui l'attendait répliqua :
-
Je dois me préparer. Fixons plutôt un jour pour cette
épreuve.
-
Très bien, répondit l'homme. Je viendrai dans ta loge
à la lune de la rivière immobile.
Le
prince du Gel s'en alla sans se retourner.
Hiyatgau
comprit que les paroles du prince signifiaient qu'il
apparaîtrait au moment où le gel emprisonnerait les
eaux de la rivière.
Il
retourna chez lui pour raconter à son oncle ce qui s'était
passé.
-
Préparons la loge, dit l'oncle. Le prince du Gel ne
tardera pas à venir.
Tous
les deux, ils couvrirent les parois de l'habitation avec
les peaux d'ours et attendirent. Tous les jours,
Hiyatgau allait voir si la glace se formait sur la rivière.
L'air était froid, les feuilles étaient tombées mais
il n'y avait pas de glace.
Un
matin, très tôt, Hiyatgau constata que le feu de la
loge se mourait. Le vieil homme, l'air soucieux,
s'accroupit près du feu, tandis que Hiyatgau y jetait
une vessie pleine de graisse d'ours. Le feu rejaillit et
au même moment le prince du Gel entra dans la loge.
L'air
devint glacial et le feu s'assoupit de nouveau. Hiyatgau
y jeta encore une vessie pleine de graisse. À chaque
fois que renaissait la flamme, il allumait une torche et
l'approchait du prince du Gel. La torche s'éteignit
petit à petit. Puis Hiyatgau remit des bûches et du
gras sur le feu. Il creva cinq vessies pleines de
graisse dans une marmite qu'il posa sur le feu. Le gras
fondit. À l'aide d'une cuillère de bois, il lança de
la graisse brûlante sur le prince du Gel. Son manteau
prit le feu. Tout ce temps le prince du Gel ne bougeait
pas et ne disait rien. Mais il sembla à Hiyatgau qu'il
était devenu plus petit que le matin. Le vieil oncle ne
bougeait pas de son poste près du feu vacillant.
Hiyatgau sentait bien que l'issue du combat dépendait
de lui seul et du prince.
Tout
le reste du jour et une partie de la nuit, Hiyatgau
affronta le prince du Gel dans un duel silencieux.
Petit
à petit, le prince, hautain et digne, fondait. Au
matin, il avait la taille d'un tout jeune enfant.
Enfin
il parla :
-
Tu m'as battu Hiyatgau, mais tu n'arriveras pas à me détruire.
Désormais, à la lune de la rivière immobile, je
pincerai les oreilles et les orteils de tous les hommes.
Sur
ces mots, il disparut et l'air glacial de la loge avec
lui.
L'oncle
se leva et dit à son neveu :
-
Tu as vaincu le prince du Gel. Il ne reviendra plus.
-
C'est grâce à ta sagesse, dit Hiyatgau à son oncle.
Ensemble,
ils fêtèrent la fin de l'épreuve par un festin de
viande séchée. Hiyatgau reprit le chemin de la chasse
car la saison des grands froids était terminée.
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