NO PROBLEMAS ".

 

Pour notre escapade annuelle, en plus des critères touristiques, Micheline (XYL F9IE) et Danielle (XYL F6BFH), recherchent la rareté du pays pour les radioamateurs, la position géographique , si possible en bordure de mer avec la possibilité d’activer une île. Après avoir consulté leurs bibles telles que : Le guide du Routard, le Petit Futé et le Lonely Planete sur l’Amérique du Sud, leur choix s’est porté sur le Pérou.

Cette année, notre groupe est réduit, André F6AOI et Sylvie, Serge F6AUS et Marcelle réalisent un de leurs rêves, retrouver les lieux fréquentés par Gauguin et Brel , quant à Daniel F5LGQ et Annie c’est vers le Népal et les Indes qu’ils partent sac à dos. Yves F5TYY se joint à nous, comme en mai dernier sur l’île de Sein.

Je passerais sous silence la longue préparation administrative de l’expédition, à savoir l’obtention des licences radio, ainsi que le choix, très difficile, du trajet, compte tenu des nombreux sites à visiter et de la durée du séjour. En plus du voyage proprement dit, nous nous sommes fixé trois objectifs : activer une île côtière, activer l’île la plus haute du monde sur le lac Titicaca, et faire El Camino del Inca, traduisez le chemin de l’inca, qui consiste en un trekking de quatre jours pour aboutir au Machu Picchu.

Seize heures après avoir quitté Paris, nous atterrissons à Lima, la capitale, forte de 12 millions d’habitants, pratiquement la moitié du pays. Nous sommes samedi 30 octobre, et nous devons rester jusqu’au 2 novembre afin de récupérer nos licences radio. Nous en profitons pour visiter cette ville fondée en 1535 par l’Espagnol Francisco Pizarro.Accueilli comme un envoyé du Dieu Viracocha par le chef Inca " Atahualpa " en 1531, Pizarro le fit emprisonner. En échange de sa libération et de sa vie, Atahualpa proposa l’équivalent du volume de sa cellule remplie d’or . Mais en remerciement l’Espagnol le fit exécuter le 29 Août 1533.

Aujourd’hui dimanche nous faisons un grand tour dans cette immense ville de Lima, en empruntant les taxis bien plus nombreux que les voitures particulières. Il suffit de s’approcher au bord du trottoir, et dans l’instant un taxi s’arrête. Le musée de l’or et des armes vaut la peine que l’on s’y arrête, il renferme une collection fabuleuse d’objets Inca en or, certaines salles ont leur plafond recouvert de plaques d’or ; on peut également admirer des collections de poteries et de tissus Nazca, Moche et Incas, ainsi que des collections d’ armes de tous les pays et de toutes les époques.

L’après midi, dans le quartier de Callao, en bord de mer, notre regard se focalise sur les îles de San Lorenzo et El Fronton. Elles émergent de la brume qui baigne en permanence cette région. Renseignements pris auprès des marins locaux, il est strictement interdit d’y débarquer, l’une est une réserve d’animaux et sur l’autre se trouve une prison. Nous n’activerons donc pas ce IOTA référencé SA052.

En ce jour de la Toussaint, nous décidons de faire un repérage afin de nous rendre au Ministère des Télécommunications. Nous empruntons un bus local avec tout son folklore et faisons la connaissance de Jorgé, qui se propose de nous servir de guide. Pendant le repas du midi, Jorgé nous révèle qu’il est policier, carte professionnelle à l’appui,, revolver à la ceinture et tout un arsenal dans le sac de sport. Sous sa conduite, nous déambulons dans les rues du Lima colonial au milieu des processions religieuses.

Arrivés devant le Ministère, grosse déception, les services ne seront ouverts que le 3 novembre et, de ce fait, nous devons rester une journée de plus sur la capitale pour récupérer les licences radio. Ce qui surprend, dans ce pays, c’est le nombre de policiers et de gardiens de magasins, d’immeubles et d’hôtels, tous armés et porteurs de gilets pare-balles. De retour à l’hôtel, nous finalisons notre périple : Lima – Pisco, de là nous essayerons de faire de la radio sur l’île San Gallan , puis Pisco – Nazca – Arequipa - Puno , au bord du lac Titicaca avec une journée et une nuit sur l’île de Taquilé, l’île la plus haute du monde puisque le village se trouve à 4200 mètres, Puno – Cuzco et de là le trekking de quatre jours pour se rendre au Machu Picchu.

Notre temps étant très précieux, nous demandons à une agence de s’occuper des réservations de tous nos transports (bus,train,avion), y compris notre escapade sur l’île de San Gallan. Là, grosse surprise ! Que veulent faire ces deux femmes et trois hommes pendant 24 heures sur une île déserte, classée réserve naturelle ? Nous leur demandons un bateau , tentes, duvets, matelas, nourriture, groupe électrogène, bidons d’essence, et en prime l’obtention des autorisations officielles de débarquer et d’y séjourner !.

Le lendemain, tout est OK. Toutefois nous insistons sur le séjour à San Gallan et l’autorisation d’utiliser un groupe. Réponse " NO PROBLEMAS ", le propriétaire du bateau est le Directeur de la Réserve, et l’un des employés de l’agence de rencherir " NO PROBLEMAS ". D’ailleurs, Jorgé, c’est son nom, décide de nous accompagner pour connaître les radioamateurs (nouvelle race de bipèdes).

Le lendemain nous chargeons nos sacs à dos, deux par personne, dans le minibus de location, et en route pour le Ministère des Télécommunications. Après avoir montré patte blanche à l’entrée, accompagnés d’un garde, qui nous conduit au bureau de gestion, des licences. Après une attente d’une petite demi-heure, qui nous parait des heures, un fonctionnaire nous apporte les précieuses licences.

C’est un intense moment d’émotion, c’est l’aboutissement de nombreux courriers et messages internet, et on n’est jamais à l’abri d’un problème de dernière minute . Nous sommes autorisés en OA4 (Lima) , OA5 (Pisco), OA6 (Aréquipa), OA7 (Puno, Taquille et Cuzco).

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Il est 11 heures, et aussitôt nous prenons la route en direction de Pisco , distante de 230 Km. Les embouteillages dans Lima n’ont rien à envier à ceux des grandes capitales européennes. Dès la sortie de Lima, c’est tout de suite le désert. Nous empruntons la Panaméricaine. Au KM 144, nous traversons le port tristement célèbre de San Vicente de Canete, puisque c’est là qu’accostaient les bateaux chargés d’esclaves noirs. Nous arrivons à destination à 15 heures ; Pisco, qui compte 100.000 habitants, a été fondée en 1640, et doit son nom à la boisson nationale le délicieux "  Pisco sour ". C’est dans son port que le Général Argentin San Martin et ses troupes débarquèrent le 7 septembre 1820, pour se joindre à l’armée péruvienne afin de chasser les Espagnols . Après avoir trouvé un hôtel, nous nous rendons chez notre loueur de bateau . Luis est un homme sympathique, qui parle parfaitement l’anglais. Il ne lui reste qu’une démarche, avoir l’autorisation de débarquer, mais " NO PROBLEMAS ", ajoute Jorgé, " Luis connaît bien les autorités portuaires, et, la preuve , il a déjà acheté la nourriture pour l’expédition, prévu le cuisinier et le guide… obligatoire, ainsi que le bateau et son pilote. " . Pendant le repas du soir, je m’enquiers : " Et le groupe, les bidons d’essence ? ", "  NO PROBLEMAS, Luis est le Directeur de la réserve ", me répond Jorgé. A la fin du repas, Luis nous rejoint et s’entretient, en espagnol, avec Jorgé. Bernard, hispanisant distingué, lui demande les dernières nouvelles : " NO PROBLEMAS , nous avons l’autorisation de débarquer ". A la fin du repas, il est 23 heures, je demande à Jorge : " Peut-on voir le groupe et vérifier que tout est en ordre de marche ? ". La réponse de Jorgé nous sidère tous. Je demande à Bernard : "  Ai-je bien compris ? " , "  Oui tu as bien compris, les engins à moteurs sont interdits sur l’île, c’est le règlement  ", je crois faire un mauvais rêve. Dès le début, nous avons lourdement insisté sur l’utilisation d’un groupe dans une réserve d ‘animaux, et à chaque fois la réponse a été :  " NO PROBLEMAS " . Et il insiste le bougre : " NO PROBLEMAS, on peut quand-même partir, comme prévu demain matin à cinq heures  ". J’entre alors dans une colère, c’est le grand silence dans le restaurant, et bien que Jorgé ne parle pas l’anglais, il comprend vite que nous ne sommes pas content, mais pas content du tout.

Nous ne pouvons pas annuler cette expédition, il faut vite trouver une solution. Il n’y a en qu’une d’ailleurs, travailler sur batteries. Après un rapide calcul, pour une vingtaine d’heures de trafic, en réduisant à 50 watts l’émetteur, il nous faut six batteries d’au moins 70 ampères/heure, et de surcroît bien chargées. Nous nous rendons chez Luis, et lui exposons la situation : Ou nous annulons tout, et il nous rembourse les 400 $ de location du bateau et de l’équipage et garde la nourriture ; ou il nous trouve six batteries de 70 A/h, correctement chargées, le tout pour demain matin. Cruel dilemme, il est 23h30, cela ne vas certainement pas être facile, et de plus sa réputation est en jeu  . "  NO PROBLEMAS AMIGOS , vous aurez vos batteries, mais nous ne pourrons partir que vers dix ou onze heures ". Nous n’avons pas le choix, et surtout l’expédition est sauvée. Notre réponse est simple et ironique : " NO PROBLEMAS "... A notre avis, il y a six voitures qui ne roulerons pas demain dans Pisco….

Cette nuit, nous avons bien dormi, ce qui n’a pas été le cas de Jorgé, il avoue que ma colère d’hier soir à son égard y est pour beaucoup. Mais aujourd’hui c’est oublié. Nous mettons le matériel dans des sacs étanches, le tout est chargé dans un bus local réquisitionné par Luis. Sur la route de Paracas, d’où l’on embarque pour San Gallan, nous nous arrêtons pour acheter un mat en bambou de sept mètres de long.

Pour l’instant il n’y a que quatre batteries, mais deux autres doivent arriver avant le départ. Notre bateau, long de six mètres et doté d’un puissant moteur, est rapidement chargé ; nous emportons une petite embarcation à rames pour nous permettre de débarquer sur l’île, car il n’y a aucune possibilité d’ accoster. Le pilote du bateau s’appelle Jésus, espérons que cela nous portera chance….

Au bout de deux heures trente, nous arrivons à destination, nous jetons l’ancre à une trentaine de mètres du rivage.

Le débarquement ne va pas être de tout repos, en effet il y a une forte houle, et les déferlantes viennent se briser sur une plage de galets inclinée à environ 50 degrés. Il faut dire que l’île n’est pas protégée, et de plus l’eau du Pacifique est à douze degrés à cause du courant de Humbolt qui vient de l’Antarctique. Yves et Micheline partent en premier. Arrivés près du rivage, la barque se met en travers, et Micheline est projetée à l’eau, heureusement c’ est une excellente nageuse, elle rejoint la plage, après être passée sous la barque. Nous commençons à douter des compétences de notre équipage dans ce genre de situation. Pour la seconde navette nous installons une corde sur l’avant de la barque , et nous demandons qu’une fois sur le rivage, cette corde soit conservée , afin d’assurer la sécurité des passagers. Le voyage suivant comprend une partie des tentes, de la nourriture et des batteries. Arrivée près du rivage, à nouveau la barque se met de travers à la lame, et deux batteries goûtent l’eau du Pacifique, heureusement Yves les récupère, mais elles seront inutilisables. La barque revient vers nous pour son troisième voyage, cette fois çi assurée par la corde depuis le rivage, heureusement, car une lame plus forte que les autres la remplie , et elle flotte entre deux eaux. Notre rameur revient à la nage vers l’île. La barque est ramenée a terre , vidée, et revient vers nous. Danielle et moi, sommes les suivants. Une fois installés dans la barque, ceux du rivage tire vigoureusement la corde , pendant que notre matelot rame très fort. Arrivés près du rivage , il faut sauter rapidement dans l’eau, et marcher pieds nus sur des gros galets n’est pas chose aisée. Ensuite c’est le tour de Bernard, Jorgé, Paulo notre guide et Marco notre cuisinier. Le dernier voyage est consacré au restant du matériel.

Il nous aura fallut presque trois heures pour le débarquement. Le bruit des lions de mer est impressionnant, et comme le dit Danielle : " On se croirait sur un stade de football lorsqu’un but vient d’être marqué ". Au Hit Parade, on peut signaler les cris des oiseaux de mer, qui sont légion.

 

 

 

 

 

 

L’île est constitué d’une grande colline désertique et il n’est possible de débarquer qu’ en un seul endroit. Nous sommes bien dégagés vers le nord sur 180 degrés de l’est à l’ouest, donc vers l’Europe. Nous transportons tout le matériel sur une centaine de mètres pour établir notre camp. La progression est rendue très difficile, car en plus des galets, le sol est jonché d’ossements et de cadavres de phoques et de lions de mer. Le fameux courant chaud El Nino à tué environ 20.000 animaux en 1997. Le mat est vite monté et les sloopers 14, 21, 28 Mhz accrochés. La station est installée en plein air, la température au sol avoisine le 40 degrés, contraste étrange par rapport à la température de l’eau. Le premier appel est lancé sur 21 Mhz à 2004TU, la puissance est de 50 watts. Le quatrième contact et le premier européen est notre ami Claude F6CKH. Le Pile Up augmente et nous écoutons de 5 à 10 Khz au dessus, il est vrai que cette île référencée SA073 est demandée par 97% des chasseurs de IOTA. Pendant ce temps, le restant de l’équipe monte les trois tentes, tache rendue difficile par un fort vent qui s’est levé brusquement. Il faut les amarrer avec de gros galets. A 18 heures locales, la nuit tombe, et il faut s’organiser pour la nuit. Nous utilisons des lampes frontales pour éclairer la station. Ce que nous n’avions pas prévu , c’est que la lumière attirerait des petites mouches et nous sommes obligés d’éteindre régulièrement nos lampes. A huit heures tout le monde est dans les duvets, à part Yves et moi qui faisons la première partie de la nuit . Cette nuit est extraordinaire, le ciel constellé de milliers d’étoiles, avec pour fond sonore les cris des lions de mer . La température a considérablement baissée, et il fait presque froid ; On nous signale que notre modulation n’est pas bonne, Yves change la batterie, mais le phénomène persiste, en fait avec l’humidité de la nuit, le transceiver ruisselle d’eau ; je l’enveloppe dans une serviette éponge puis dans un plastique, et au bout de quelques temps, tout rentre dans l’ordre. Dans le Pile up j’entends André FO0AOI, qui se trouve aux Marquises, par le miracle des ondes une partie de l’équipe est réunie , et comme je le dis à André, cette île me rappelle Clipperton. Quelques instants plus tard, F9CZ m’ informe avoir contacté Daniel F5LGQ  qui se trouvait à Katmandu. Puis c’est Serge FO0SOU qui m’ appelle, la boucle est bouclée. Vers deux heures du matin, nous cédons notre place à Bernard. Je me glisse tout habillé dans mon duvet et m’endors bercé par les cris de lions de mer.

A cinq heures du matin Nous nous levons en même temps que le jour, Bernard est au " manip ". La matinée passe vite, le 28 Mhz est ouvert, et le pile up est énorme. En fin de matinée nous montons un slooper 24 Mhz, et tout de suite c’est un nouveau Pile Up . Nous démontons le camp, et c’est la mort dans l’âme que Bernard fait le dernier contact de l’expédition ; mais le vent se renforce, et il faut vite quitter l’île.

Le départ est tout aussi acrobatique que l’arrivée.. Nous mettons trois heures pour rejoindre le port de Paracas. Un peu plus de 1500 contacts sont couchés dans les logs.

Je tiens à signaler que sans la compréhension, l’aide physique et morale de nos Epouses Danielle et Micheline, ce type d’opération serait irréalisable. Les qso seront concrétisés par les magnifiques QSL conçues et réalisées par Micheline.

Danielle et Alain DUCHAUCHOY F6BFH.

Fin de la première partie.