La Grosse-Île

 

L’histoire de la Grosse-Île, au milieu du fleuve St-Laurent en face de Montmagny,  est étroitement liée au sort des irlandais qui ont dû émigrer d’Irlande au siècle dernier. Parler de Grosse-Île sans parler tout d’abord des irlandais pourrait se comparer à la  visite d’un site  touristique sans être accompagné d’un guide ou d’un texte explicatif.

Nous avons tous entendu parler, à un moment ou à un autre, de cette île perdue au centre du St-Laurent. Jusqu’à tout récemment, cette île n’était pas accessible au public. Elle a été fermée durant plus de 75 ans. Elle a été utilisée durant un certain temps  pour des recherches sur des maladies animales, particulièrement le bétail importé d’Europe, et durant le dernière guerre, elle a servi à l’armée canadienne pour des expériences sur la guerre bactériologique.  En 1815, quand l’arpenteur Jos Bouchette fit la carte topographique de la province du Bas-Canada, il inscrivit la Grosse-Île sous le nom de “Île de Grâce”.  Cette appellation fut sans doute de courte durée, puisqu’en 1831, on retrouve Grosse-Île sur des cartes et documents officiels. Nous reviendrons plus en détail sur Grosse-Ile. Voyons tout d’abord ce qui a amené les irlandais sur cette île du St-Laurent entre 1840 et 1850.

Nous sommes devenus trop familiers, presqu’ennuyés par la violence en Irlande, à un point tel qu’on ne voit plus l’envers de la médaille. Ce soir, nous allons jeter un regard sur l’histoire de ce peuple irlandais. Par la suite, nous débarquerons dans l’île qui devait être, pour un grand nombre d’entre eux, le lieux de leur dernier repos.

En nous penchant  un peu sur leur histoire, nous serons mieux en mesure d’apprécier  les efforts déployés dans le monde entier par ces Irlandais pour que règne la justice et la paix. Nous verrons aussi pourquoi ces gens ont dû émigrer massivement pour ne pas dire déportés  lors de la grande famine qui sévissait en Irlande  entre 1845 et 1850 et la suite ininterrompue d’amères déceptions et de souffrances auxquelles ils furent soumis dans leur fuite de la famine, de la fièvre et de la persécution qui sévissaient dans leur pays.

En première partie de cette causerie nous verrons quelle était la situation en Irlande qui força le peuple à émigrer et  les difficultés et les souffrances incroyables de la traversée en mer. En deuxième partie, il sera question de  l’holocauste à Grosse-Ile ainsi qu’ailleurs au Canada. Dans une troisième partie, nous ferons ensemble une brève visite dans l’île.

Après 1815, au lendemain des guerres napoléoniennes, un nombre croissant d’émigrés quittent les îles britanniques, l’Irlande et plus tard l’Europe pour venir s’établir dans les colonie britanniques de l’Amérique du nord. Les déplacements de ces populations surviennent au moment où de grandes épidémies de maladies infectieuses s’abattent sur toute l’Europe.

L’arrivée de tous ces immigrants au port de Québec fait craindre la transmission de ces maladies. Les autorités coloniales décident d’établir à Grosse-Île une station de quarantaine. L’île offre des avantages géographiques importants: proximité du port de Québec, éloignement des populations locales et situation avantageuse le long du couloir de navigation qu’est le St-Laurent.

Les premières installations de quarantaine sont aménagées à la hâte dès 1832.  En 1831, devant l’épidémie de choléra asiatique qui sévit d’une manière si terrible en Europe et devant l’imminence de l’arrivée de milliers d’immigrants, les autorités canadiennes s’inquiètent. Les installations de la Pointe de Lévis sont jugées insuffisantes et sont situées trop près des centres populeux.  C’est alors qu’on désigne la Grosse-Île , déserte et éloignée des centres habités, cette île offre de remarquables possibilités de mouillage.

Le 25 février 1832, un acte du gouvernement impérial établit au Canada quatre stations de quarantaine maritime. Le but: empêcher le transport d’un pays à l’autre des maladies majeures telles que la peste, le choléra, la fièvre jaune et le typhus. Ces stations sont: La Grosse-Île dans le St-Laurent, William Head sur l’île de Vancouver, l’ile Lawlor près de Halifax et l’île Partrige près de St-Jean, Nouveau-Brunswick.

Toujours en 1832, le gouvernement réquisitionne la Grosse-Île, propriété du notaire Bernier, résidant de Château-Richer. On y déménage la station de quarantaine. L’établissement sanitaire est placé sous la surveillance d’un surintendant assisté d’un médecin chirurgien. En même temps, une garnison d’infanterie est envoyé à l’île. Chaque immigrant doit subir un examen médical méticuleux. Ces gens ne peuvent communiquer avec l’extérieur aussi longtemps que la maladie est dangereuse. Dès le début, il y a aussi des missionnaires catholiques et protestants ainsi que des chapelles.

En 1832, 61,800 immigrants viennent au Canada en partance d’Angleterre. 51,146 sont examinés à la station.

En 1833, la station reçoit 21,732 immigrants, 239 sont admis à l’hôpital et  doivent subir la quarantaine. 159 sont atteints de fièvre, 34 de petite vérole et 46 d’autres maladies. On compte 27 décès.

En 1834, le livre officiel de la Grosse Île débute par un acte de baptême. 30,945 immigrants sont examinés, 844 sont admis à l’hôpital. Il y a 234 mortalités.

En 1836, après plusieurs requêtes du notaire Bernier, le gouvernement adopte la loi permettant l’acquisition de la  Grosse-Île et accordant indemnisation au propriétaire et à son fermier à qui il louait l’île.

En 1837 et 1838, le gouvernement accorde un terrain pour une chapelle, un cimetière et un jardin. La chapelle est agrandie.

A la suite de plusieurs mauvaises récoltes de pommes de terre, l’Irlande est dévastée par la grande famine entre 1845 et 1849, provoquant ainsi l’émigration massive d’une partie importante de sa population.  Entre 1840 et 1850, plus de 1 millions de personnes sont victimes de la faim, de la maladie et de la malnutrition, et un autre million émigreront vers l’Amérique. Même à l’heure actuelle, la population de l’Irlande est toujours  inférieure à ce qu’elle était en 1841.

En 1845, la famine sévit en Irlande et le gouvernement britannique refuse d’apporter son aide. En 1846, la population affaiblie n’a plus un sous. Les plus fortunés s’embarquent pour les États-Unis, évitant ainsi le Canada qui est une colonie d’Angleterre. L’Europe connaît son plus dur hiver depuis le début du siècle. Des médecins avertissent les gouvernements qu’un tel état de famine peut déclencher une épidémie. Les Britanniques voient là une occasion unique de peupler une colonie rébarbative, le Canada. Les Irlandais aimeraient mieux aller aux États-Unis, mais les Américains sont peu intéressés à recevoir des immigrants pauvres et porteurs du typhus.

En 1847, tout ce qui peut porter le nom de navire est mobilisé. Le prix du voyage Irlande-Québec est de trois livres sterling, souvent payé par le gouvernement ou les propriétaires désireux de se débarrasser de leurs locataires. Le voyage peut durer six semaines et parfois trois mois. Ces pauvres gens sont entassés dans les cales des navires où il n’y a ni lumière, ni ventilation. L’eau et la nourriture sont rationnées. On ne respecte ni l’âge, ni le sexe, ni la décence. Les précautions hygiéniques sont inexistantes.

Aussi en 1847, les Britanniques n’ont pas jugé bon d’avertir le Canada de l’ampleur de l’immigration. Deux cent lits seulement sont disponibles à la station.  Le 15 juin, un navire apparaît dans le chenal arborant un drapeau blanc.  Seuls, le capitaine et le second étaient encore vivants. Ils mourront peu après dans l’île. De nouveaux hangars sont construits de toute urgence. 

Après la construction de l’hôpital du choléra, d’autres abris sont édifiés tout près. La proximité de ces bâtiments abritant les immigrants en santé et ceux où logent les malades, l’improvisation dans l’accueil et le manque de connaissances scientifiques dans le traitement des immigrants malades caractérisent, entre autre, les premières décennies d’existence de la quarantaine à Grosse-Île. La station de quarantaine ouvrait le 1er avril et fermait le 25 novembre. Ses opérations coïncidaient avec la saison de navigation sur le fleuve.

C’est en 1847 que débute notre récit. Un nombre encore jamais vu d’émigrants irlandais se dirigent vers Québec.  La situation est dramatique! Ces immigrants, affaiblis par la malnutrition et la famine, arrivent dans un état déplorable et plusieurs sont atteints du typhus. Cette maladie prend rapidement l’ampleur d’une épidémie. Grosse-Île ne peut répondre aux besoins. Le personnel est débordé.

Des milliers de décès en mer, des milliers de sépultures à Grosse-Île, des milliers de morts à Québec, Montréal, et Kingston, tel est le triste bilan de cette année noir.

A la suite de ce drame, les autorités modifient la manière d’accueillir les immigrants. Grosse-Île est désormais divisée en trois secteurs. Les malades sont confinés à l’est, les immigrants dits en santé à l’ouest et l’administration au centre. Barrières, contrôles et sentinelles démarquent ces quartiers. Quittons pour un moment  cette île où nous reviendrons tout à l’heure. Voyons tout d’abord l’histoire pathétique des Irlandais.

En 1847, un jeune maître d’école du nom de Gérald Keegan se joignait à des émigrants et s’embarquait sur un navire, le Naparima,  en partance pour le Canada. Durant la traversée, il continua d’écrire un journal qu’il avait commencé à écrire alors qu’il enseignait dans une école de Sligo, dans le nord ouest de l’Irlande. Dans ce journal, tenu presqu’au jour le jour, il racontait  dans le détail la situation qui prévalait alors en Irlande et qui forçait le peuple à émigrer.  En 1895, ce journal fut publié à Huntingdon, au Québec, mais aurait été de toute évidence censuré par le gouvernement colonial d’alors. Il étalait trop franchement les mesures abusives à l’origine du mouvement d’émigration. L’interdiction fut efficace. On ne connaît pas, même aujourd’hui, l’existence d’une seule copie de cette publication.  Une seule copie a été retrouvée, dans les mains d’un étudiant de l’Université Laval à Québec qui, par la suite, à fait l’objet de plusieurs récits.

La politique du gouvernement canadien en 1847 était d’empêcher que de telles nouvelles s’ébruitent. La preuve en est que le journal Kingston Chronicle du 17 juin 1848 écrivait ce qui suit: Le silence est une façon d’agir aussi arrogante que pernicieuse. Si l’interdiction vise à ne pas alarmer, elle est fondée sur de fausses prémices, car en l’absence d’informations authentiques, des rumeurs fausses et exagérées apparaissent comme plausibles. La population a le droit d’être mise au courant de ce qui se passe à Grosse Ile.

Des registres gardés à Grosse Ile furent détruits dans un incendie, qui, on le soupçonne,  avait été allumé délibérément afin de détruire les preuves. Le nom du navire Naparima fut même retiré de la liste des bateaux qui jetèrent l’ancre à l’île de quarantaine et par la suite à Québec, à l’été de 1847.

Les faits révélant les mauvais traitements infligés aux Irlandais durant la traversée et à leur arrivée au Canada étaient tellement révoltants que le gouvernement essaya de toutes les façons possibles de les cacher au public. Il fallut presque 50 ans avant que le silence ne soit rompu grâce à un livre révélant une bonne partie de cette histoire au public. The Grosse-Ile Tragedy, publié en 1909. Une autre longue période de 50 ans suivit.

La Grosse Île est située dans le fleuve St-Laurent en face de Montmagny. Elle fait partie d’un archipel d’îles de toutes dimensions dont la plupart son inhabitées. C’est maintenant un lieu historique national. Entre 1832 et 1937, cette île a servi de point de quarantaine du port de Québec, et a été le point d’arrivée des émigrants au Canada.

Le lieu historique de Grosse Ile fut jumelé le 25 mai 1998 avec le National Famine Museum de Stokestown Park, en Irlande. Bien que ces deux lieux patrimoniaux soient séparés par des milliers de kilomètres, ils racontent à leur manière une même histoire; Grosse-Île, terre d’accueil de milliers d’Irlandais qui ont quitté leur terre natale.

Pour bien comprendre le drame de Grosse-Île, nous allons débuter notre récit en février 1847. Le maître d’école dont j’ai parlé plus haut, Gérald Keegan enseigne dans sa  petite école. Voulant punir un de ses élèves qui n’avait  pas fait ses travaux de la semaine, il lui demande de s’approcher et de tendre la main pour recevoir quelques coups de férule, qu’on appellerait ici la strappe. Le jeune élève, en pleur, lui dit que ce n’était pas par mauvaise volonté qu’il n’avait pas fait ses devoirs, mais à cause d’une colique tenace qui lui tiraillait le ventre et l’empêchait de travailler depuis plusieurs semaines.  Le jeune maître d’école, bien au fait des difficultés de ses élève à se nourrir convenablement, retint sa punition et renvoya l’élève à sa place.

Le peuple irlandais est à bout. La famine et la peste planent sur le peuple d’Irlande. Les décès se multiplient à un rythme  tel que les survivants n’arrivent plus à ensevelir leurs morts.  Chaque chaumière et chaque misérables toits sont en deuil. Si ce n’était de la famine, la peste prendrait moins d’ampleur.  Quelle absurdité dans un pays si propice à l’agriculture. Les gens meurent de faim. On interdit aux paysans de consommer les produits des récoltes sauf  les pommes de terre, et à l’occasion, des choux et des navets. A partir des différents ports d’Irlande, on exporte, sous garde armée, des tonnes des meilleurs produits du pays. Ces paysans sont les victimes des ambitions économiques de l’Angleterre.

On commence à parler sérieusement d’émigration vers le Canada. Mais, cette émigration massive était plutôt une expulsion forcée, conçue d’abord et exécutée ensuite par les seigneurs qui promettent à des milliers de leurs valets et paysans  un passage payé vers le Canada et un lopin de terre accompagné d’un peu d’argent à leur arrivée. Mais cette proposition n’est  rien d’autre qu’un appât pour chasser les pauvres paysans de leurs terres.  Cet exode est encouragé par un groupe de seigneurs impitoyables et cupides qui veulent chasser de leur terres des locataires sans défense, faméliques et malades. Mais les pauvres paysans n’ont pas d’autre issue que d’accepter, même si plusieurs d’entre eux savent que le moment venu, les seigneurs ne respecteront pas les termes de l’entente. La condition désespérée ou ils se trouvent est une conséquence directe de la possession de leurs terres par une puissance étrangère.

Les instigateurs de ce mouvement ont bien choisi leur moment. Crevant de faim à cause d’une famine provoquée artificiellement, malades parce que trop affaiblis, les Irlandais sont devenus des proies faciles. Les ravages de la faim et de la dysenterie sont intenses en ce moment. La plupart des gens ne sont pas en condition de voyager. Beaucoup mourront en route, quelle que soit leur destination.

En Irlande, à cette époque, il y avait une grande pénurie de pommes de terre dans chaque région du pays, mais il y avait du maïs, du blé, de la viande et des produits laitiers en abondance. Malheureusement, si un de ces paysans osait s’en emparer, il était  passible d’emprisonnement, d’exil ou d’exécution.

Il faut comprendre que le champignon destructeur, responsable de la perte des récoltes de la pomme de terre, était connu en Europe bien avant qu’il ne fasse son apparition en Irlande, mais dans ce pays, où tous les autres produits sont confisqués et expédiés en Angleterre, une récolte de pommes de terre ruinée engendrait une véritable  catastrophe. La pomme de terre est la nourriture de base de près de la moitié de la population.

Le champignon est d’abord apparu sous la forme de moisissures blanche sous la feuille.  Ensuite il a rapidement gagné la tige et la pomme de terre elle-même. Au début, les gens ont jugé qu’il n’y avait pas de quoi s’alarmer outre mesure car l’automne précédent, la moitié de la récolte était propre à être ramassée. Elle fut remisée dans les fosses et les caves habituelles. Seuls, ceux qui avaient retardé leur récolte l’avaient perdue, mais ils savaient qu’ils pouvaient recourir à des voisins qui avaient eu plus de chance. Il semblait qu’on pouvait survivre tout l’hiver.

Quand, finalement, on découvrit que la flétrissure était en train de tout ruiner, ce fut une grande consternation. L’hiver de 1845 avait  apporté la première vague de famine et, avec elle, la peste. La récolte de 1846 fut un autre désastre.  Les champignons avaient  envahis les fosses, condamnant les paysans à affronter l’hiver avec le poisson qu’ils pouvaient trouver, accompagné d’un reste de navets et de choux.

Les paysans d’Irlande étaient  sous la domination d’une machine politique immorale, opprimante et implacable. Les seigneurs cupides étaient, pour la plupart, des étrangers, anglais ou Ecossais  qui occupaient toutes les terres fertiles du pays. L’effet le plus démoralisant des souffrances atroces du peuple, c’était  cette sorte de désespoir et ce sentiment d’impuissance qui commençaient à le miner. L’Irlandais aime la conversation, la musique, la poésie et même les farfadets, symbole imaginaire dans lequel ils se plaisent à évoluer. Ce don salutaire, qui fait ressortir le côté humoristique des situations les plus désespérées, cédait lentement  la place à une apathie inquiétante devant un si cruel destin.

Le 24 février 1847 après la messe, dans le comté de Sligo, le seigneur,  Lord Palmerston, envoie son intendant qui,  debout sur une pierre, lit une lettre adressée à tous les tenanciers: Cette lettre disait ceci: il n’y a pas d’espoir pour vous aussi longtemps que vous resterez en Irlande.  La seule façon d’améliorer votre  condition est de quitter le pays. On fera remise de la dette à tous ceux qui ont des arrérages de location, le passage pour le Canada sera défrayé et nos agents sur place vous donneront un titre de propriété.

Les Irlandais auraient mieux aimer se rendre aux États-Unis car le Canada étant une colonie britannique, ils devraient  de nouveau être assujettis aux même lois que ceux qui les persécutaient depuis si longtemps. Mais l’Angleterre ne voyait pas les choses de cette façon. Ils voulaient  au plus tôt peupler ce nouveau continent qu’ils venaient d’arracher à la France et pour ce faire, une émigration massive était jugée nécessaire.

Le  message de l’intendant avait fait briller une lueur d’espoir dans le coeur de plusieurs même s’ils doutaient de l’autorité de l’agent qui a émis cet avis. Les gens formèrent des groupes et discutèrent longuement. L’opinion générale était que toute forme de solution était préférable aux conditions auxquelles ils étaient assujettis en ce moment dans le pays, même si cela voulait dire affronter l’inconnu.

Les paysans ont eu une semaine pour accepter cette offre. S’ils refusent, aucune autre offre ne sera présentée.

Mais en même temps, la vérité sur les conditions de vie en Irlande était   connue à l’extérieur du pays. Un compte rendu des solutions envisagées par le parlement britannique, après de longues délibérations, s’appuyait  sur le principe que les moyens d’aider le peuple irlandais devaient  être trouvés en Irlande.  En premier lieu, faire cesser les exportations massives de vivres vers l’étranger. Ensuite, qu’on nourrisse d’abord les affamés et enfin  que les cent mille acres de terre sous le contrôle des seigneurs soient restitués à leurs propriétaires légitimes,  les  paysans irlandais. Une autre mesure serait la suppression de la milice et de la police qui étaient  en Irlande avec l’accord du gouvernement britannique pour exécuter, emprisonner ou exiler tout citoyen soupçonné de trahison. Ceci englobe des crimes aussi grands comme de prendre un épi de maïs dans les greniers du seigneur. Malgré toutes ces belles déclarations,   rien de valable ne sera fait.

Les Irlandais étaient catholiques. L’Église de l’état était protestante.  Il y a toujours eu de la haine entre Irlandais catholiques et Anglais protestants. Cette situation remonte à la Réforme. Pour vous rafraîchir la mémoire, la Réforme est ce mouvement religieux qui a pris naissance au XVIe siècle, vers 1520, et qui a soustrait à l’autorité du Pape une partie de l’Europe et donné naissance aux Églises protestantes.     Seule, l’Irlande parmi toutes les nations européennes, s’est à peine ressentie de l’influence de la Réforme et était demeuré catholique. La Réforme avait donné naissance à une sorte de guerre de religion. C’est une des raisons pour lesquelles l’Angleterre voulait que l’Irlande plie l’échine.

Un des principaux objectifs des Orangistes, société secrète fondée en 1795, était d’assurer la suprématie du protestantisme, en ayant recours aux armes si nécessaire. Les lois pénales de l’Angleterre  étaient fondamentalement anti-catholique.

Pendant que ces lois étaient en vigueur, aucun catholique n’était autorisé à voter ou à être membre du parlement.  Ils étaient exclus des bars, de l’université et de toute fonction publique. Ils n’avaient pas le droit de posséder des armes ni même un cheval. Aucun catholique ne pouvait tenir une école ou faire instruire ses enfants. Les évêques catholiques étaient bannis. S’ils revenaient, ils risquaient d’être pendus, éviscérés ou écartelés. Par contre, toutes sortes de privilèges étaient offerts à ceux qui reniaient leur foi et devenaient protestants.

Dans toute l’Irlande, les évictions et les démolitions se poursuivaient à un rythme effréné. La barbarie des hordes de maraudeurs qui démolissent les chaumières était  sans borne. Les occupant étaient  battus et tués s’ils offraient de la résistance. On ne leur laissait pas même le temps de prendre quelques objets personnels. Privés de nourriture et d’abri, exposés aux rigueurs du climat, les gens mourraient par milliers. Il y avait partout du maïs entreposé. Le volume  et l’emplacement de chaque tas était inscrit et des punitions sévères étaient infligées à ceux qui osaient s’en approprier, ne fut-ce qu’une part minime. Un des paysans avait été chassé pour avoir essayé d’en emporter un peu  pour nourrir sa famille affamée. Sa femme était mourante et un prêtre fut appelé. A son arrivée à la cabane, il a trouvé l’escouade d’éviction et de démolition à l’oeuvre, abattant les murs sans aucun égard pour cette pauvre femme agonisante. Son mari essayait de la déplacer après avoir conduit les cinq enfants à l’extérieur. Le prêtre a dû supplier le chef de l’escouade de lui permettre de donner l’extrême-onction à la femme avant de la sortir de la maison. Ils n’en continuèrent pas moins leur saccage pendant que le prêtre l’administrait. Elle s’éteignit une heure plus tard face aux ruines de sa maison démolie. Et ce ne fut pas un cas isolé.

Au même moment, un mouvement organisé de révolte prend naissance. Le Young Ireland Movement.  Dès que cette organisation fut complétée,  organisée et prête à attaquer, ses chefs sont capturés et pendus. L’Angleterre se propose d’ajouter 20,000 soldats à ceux déjà cantonnés dans le pays.

Les rebellions en Irlande durent depuis plus d’un siècle dans une lutte incessante pour la liberté.  Le pays a perdu plusieurs de ses concitoyens les plus éminents lors de la rébellion de 1798 et dans toutes les autres insurrections qui ont eu lieu par la suite. Ils ont été invariablement exécutés ou déportés sans aucune forme de procès juste. La plupart de ceux ci étaient des érudits notoires, des hommes d’état renommés et des hommes aux meurs irréprochables.

Le 12 mars 1847, le maître d’école avait dû fermer son école. L’émigration était imminente. Les seigneurs avaient choisi les personnes âgées, les infirmes,  les enfants et les plus démunis pour faire partie du premier convoi vers le Canada. Par contre, ils retiennent ceux qui sont encore capables de travailler et de faire produire leurs terres.

Une histoire de fourberie incroyable parvient aux oreilles du peuple irlandais.  Les Britanniques ont envoyé une délégation à Rome et ont réussi à convaincre le Pape, visiblement ignorant des malheurs des irlandais  qu’ils sont une nation de sociétés secrètes, engagés dans des tactiques rebelles et opposés aux lois du pays. Le Pape réagit à cette fourberie en déclarant que le peuple irlandais est devenu passible d’excommunication si les oppresseurs jugent leurs gestes comme étant révolutionnaires. Le côté le plus répugnant de cette intervention réside dans le fait que l’Angleterre a une loi interdisant tout contact avec Rome.

La Reine vient de passer une nouvelle loi sur la trahison. Traître ou passible de mort ou d’emprisonnement à vie, celui qui s’avise de tenir une assemblée sous quelque prétexte que ce soit exception faite de l’office religieux du dimanche. De plus, un fonctionnaire du gouvernement doit être présent lors de ces offices. Il ne faut pas perdre de vue que depuis plus de 700 ans de domination par l’Angleterre, la pauvreté et la misère règnent en Irlande. Toute cette misère et cette pauvreté peuvent être imputés au système imposé par des étrangers.

Les conditions faites aux paysans locataires sont rigoureuses. La plupart sont des tenanciers à volonté, c’est à dire soumis au bon vouloir du propriétaire terrien qui peut les renvoyer à n’importe quel moment. Le paysan est donc privé de sécurité et de toute forme d’initiative.

Heureusement, maigre consolation, pendant ce temps, la grande famine d’Irlande ne laisse pas les autres nations indifférentes.

Le Sultan de Turquie est le premier à faire parvenir un don. Les ouvriers d’Angleterre ont ramassé une somme importante. Le pays a aussi des amis parmi les politiciens et la noblesse d’Angleterre. Le Tsar de Russie, l’empereur de Chine et des souverains d’Égypte et des Indes font aussi parvenir des dons au fonds de secours. Les États-Unis ont dépassé tous les autres en générosité.  Ce pays avait été la  nouvelle patrie que plusieurs  émigrants avaient choisie alors qu’ils le pouvaient.  La ville de Philadelphie l’emporte sur tous les centres des États-Unis par sa grande générosité. Les Juifs de New-York ont rivalisé avec les Irlandais américains dans leur réponse à un appel pour des fonds de secours.

Mais tous ces dons et cette aide étaient peu de chose en comparaison des besoins de ces gens dans la misère la plus profonde. Dans un certain  arrondissement, des centaines d’hommes cherchaient un emploi pour un salaire de deux sous par jour. Le clergé protestant avait  le droit de percevoir jusqu’à vingt pour cent en dîme,  après que les propriétaires terriens eurent  saigné les tenanciers pour le loyer. Le locataire, sur le domaine d’un propriétaire, était  au plus bas niveau de l’échelle économique. Il pouvait se compter  chanceux si son revenu annuel atteignait  six livres. Le propriétaire collectait plus de la moitié pour le loyer. Le locataire, ou le valet comme on l’appelait  parfois,  disposait d’un peu plus de deux livres par an pour lui-même.

Un peu au dessus du valet, se situait le paysan qui, lui, possédait une chaumière et un lopin de terre. Son droit de posséder reposait sur sa capacité de faire de l’argent pour payer jusqu’au dernier sous la rente annuelle. Le montant de ce loyer dépendait de la décision arbitraire de l’agent percepteur. Sans aucun préavis, le locataire pouvait  être dépossédé de tous ses biens pour toutes sortes de raisons ou de propos pouvant être interprétés comme étant déloyaux à la couronne.

Quand les récoltes sont bonnes, il peut ajouter un hareng ou un navet à sa ration quotidienne de pommes de terre. Mais durant la famine, le paysan n’a plus aucune garantie de revenu ni de nourriture. Même dans les conditions les plus lamentables, les gens font preuve d’une résignation triomphante et d’une paix compréhensible seulement au plan spirituel. C’est probablement cette force d’âme indomptable qui a permis au peuple irlandais d’affronter toutes ces épreuves avec sérénité et qui le sauvera de l’extermination.

Bien que le plan d’émigration est frauduleux et perfide, les agents exercent des pressions plus que jamais. Des milliers d’Irlandais sont maintenant prêts à tenter leur chance. Il y aura un véritable raz de marée de départs. On donne en exemple qu’un agent d’émigration s’est présenté avec un homme de loi qui a incité les gens à signer un papier qu’on ne leur avait pas expliqué. Un document légal avec beaucoup de petits caractères. Que les gens comprennent ou pas ce qu’ils signent ne fait pas grand différence. En opposant leur signature, ils renoncent à toute réclamation sur leur propriété, leur ameublement et s’engagent à en remettre la possession avant le 10 avril 1847.  On n’y fait pas mention des dix shillings promis à leur arrivée au Canada pas plus que de la terre qu’ils devraient recevoir tel que convenu dans le premier avis. Ces gens sont vraiment à la merci des propriétaires terriens.

Le 31 mars 1847 fut le jour annoncé pour le grand départ pour le port de Dublin. Une longue caravane se mit en branle. Les gens durent  faire le voyage, certains  à pied, d’autres un peu plus fortunés en carriole louée pour l’occasion  à partir de leurs patelins jusqu’à Dublin où un navire les emportera vers la terre promise, le Canada. On leur a dit d’être à Dublin vers le 2 avril pour l’embarquement. La plupart d’entre eux devront marcher. Seulement les personnes âgées, les infirmes et les jeunes enfants seront autorisés à monter dans une voiture, car les moyens de transport sont rares et trop chers pour les pauvres. La nuit, ils seront obligé de dormir le long des  routes et de transporter leurs petits  baluchons contenant nourriture et vêtements de même que quelques  petits pots, marmites et ustensiles. Un grand nombre mourront en route et seront ensevelis le long du chemin, car plusieurs ne sont pas en état de voyager.

Ces pauvres gens doivent quitter leur pays pour se conformer à la volonté de riches, puissants et insatiables despotes. Dans les pages de l’histoire, l’Irlande était un phare de connaissance et de foi dont la lumière irradiait sur toute l’Europe. Ses poètes, ses bardes et ses musiciens étaient connus et aimés dans tout le pays. Ses monastères étaient des oasis de foi et de culture, flambeau de l’univers. C’est tout cela que le peuple d’Irlande laissait derrière lui. Ce n’était pas à proprement parler une émigration, mais plutôt une expulsion massive de tout un peuple. Il est vrai que plusieurs avaient signé des papiers mais derrières ces signatures, il n’y avait que malhonnêteté, supercherie, fraude et évictions massives.  Tous ces gens espéraient qu’au  Canada, ils pourraient assouvir leur faim de liberté et voir leurs droits fondamentaux enfin reconnus et respectés.

Le 3 avril 1847, la caravane atteignit le port de Dublin. Après renseignements, le bateau devait partir le lendemain mais il y avait un tel amoncellement de marchandises sur le quai qu’il était peu probable que le navire puisse quitter le port avant une autre semaine.

La traversée devait durer entre 36 et 90 jours. Les passagers étaient  entassé comme des animaux dans de petits navires, capables d’en recevoir entre 250 et 500 chacun. Les ponts sont unis, exception faite d’une cambuse qui abrite la cuisine et ses fours et qui est située entre le mât avant et le mât principal. Le navire transporte les vivres et les animaux solidement attachés. Des provisions, comme des flacons d’avoine, sont distribués une fois par semaine. Les passagers peuvent cuire des aliments dans une petite cuisine sur le passavant du navire, petite passerelle permettant de passer  d’une section à une autre.

Les aménagements pour les émigrés se situent entre le sombre entrepont et le milieu du navire. La ventilation est assurée par une toile disposée sur chaque écoutille. Le système sanitaire quand il y en a, consiste en des seaux d’aisance.

Les départs ne respectent pas toujours l’horaire  prévu. Les émigrants arrivés aux quais bien à l’avance, doivent subvenir à leurs besoins du mieux qu’ils peuvent. Les départs sont souvent retardés volontairement pour prendre à bord le plus de personnes possible.

Enfin, à l’aube du 9 avril 1847, le Naparima leva l’ancre. Le navire pouvait contenir 300 passagers. Ils étaient 500 passagers à bord. Le capitaine recevait 5 livres par passager. Le voyage sera profitable pour lui est les affréteurs.

Sur le pont, les émigrants irlandais jettent un dernier regard à cette terre qui leur a été volée et qu’ils ne reverront plus. L’Irlande était un magnifique pays à tous points de vue, si seulement ses ennemis ne s’étaient pas acharnés à le mutiler, à l’amputer de ses citoyens.

La traversée ne fut pas de tout repos. Dès le premier jour, une mer démontées ballottais le navire comme un jouet   rendant les passagers confinés dans la cale et de plus en plus malades. Plusieurs avaient le mal de mer. La puanteur des déchets et des excréments donnait la nausée. Comment ces gens pourraient-ils  survivre de six à huit semaines dans de telles conditions, la situation était déjà intenable après deux jours.

Une rumeur se mit à courir sur la bateau. Plusieurs personnes qui s’étaient embarquées en Irlande pour Liverpool, ne furent jamais autorisés à débarquer et durent revenir au pays. Certains firent la navette 5 ou 6 fois avant d’être mis sur des bateaux en partance pour le Canada.

Voulant à tout prix fuir l’Union Jack, tous les émigrants seraient allés aux États-Unis si seulement on leur en avait donné le choix. Mais les bateaux qui accostaient  dans un port des États-Unis étaient  soumis à une inspection rigoureuse et les affréteurs savaient fort bien qu’un rafiot comme le Naparima et beaucoup d’autres ne rencontreraient pas les normes d’une inspection honnête.

Les émigrés d’Allemagne et de Hollande voyageaient sur des bateaux mieux organisés qui avaient une réputation de propreté, de servir de la bonne nourriture et ou les passagers étaient bien logés.  Les émigrants en provenance de ces pays étaient facilement admis aux États-Unis.

La nourriture servie à bord du Naparima se résumait aux biscuits de mer mais ils portaient la marque d’un long entreposage. Il y avait parfois  une ration de thé, un régal rare pour la plupart des passagers. L’eau potable avait  un goût infect et avant longtemps elle ne serait plus potable.

Le 12 avril 1847, la mer se déchaîna de nouveau. Le navire gémissait de partout, et les passagers étaient violemment projetés les uns sur les autres. Seuls, les passagers les plus forts et en santé n’eurent aucune blessure. Plusieurs eurent les côtes brisées par les chocs répétés les uns contre les autres et sur les parois du navire.

La traversée de l’Atlantique exigeait  une rançon effrayante. Les passagers mouraient comme des mouches. Faible lueur d’espoir, un  maître d’équipage était venu dire aux passagers que d’ici deux semaines, le bateau serait arrivé à la station de quarantaine. Mais avant d’arriver à destination, restait  la remontée du St-Laurent qui était  hasardeuse et  demandait beaucoup d’habileté et une vigilance constante de la part du capitaine.  C’est pourquoi un pilote canadien devait monter à bord afin de  rendre le bateau à bon port.

Entendre parler de terre ferme avait  provoqué une excitation salutaire sur le navire et  redonné l’espoir aux passagers.  Le bateau était  parvenu sur les grands bancs de Terre-Neuve, renommés pour leur abondance de poisson. Quelques hommes, pêcheurs chevronnés de la côte ouest de l’Irlande se préparaient à lancer une ligne. Ils avaient  marchandé avec le cuisinier quelques lignes et hameçons et un peu de lard salé pour appâter. En offrant au cuisinier quelques uns des meilleurs poissons, ils réussirent à le convaincre d’en faire cuire pour les passagers. Il va sans dire que ces repas de poisson étaient plus que bienvenus.

La remontée du fleuve fut très lente, mais cette partie du voyage n’était pas monotone sur un fleuve qui est sûrement l’un des plus majestueux du monde. Les Irlandais quittaient l’un des plus beaux pays du monde pour aller vers un autre tout aussi magnifique. La traversée tirait à sa fin mais les passagers étaient chaque jours témoins de spectacles désolant qui les plongeaient dans une terreur bien compréhensible.  Des  bateaux d’émigrants qui avaient précédé le Naparima avaient fait naufrage et les cadavres des passagers de ces navires avaient été  jetés à la mer sans ménagement et flottaient au gré des flots sur le fleuve. Il ne se passait pas une seule journée sans que ces corps ne fussent aperçus flottant à la dérive. Voir ces cadavres flotter sur le fleuve était un spectacle familier bien que révoltant et terrifiant.

Le 27 mai 1847, le Naparima jeta l’ancre devant la Grosse-Île.  Entre trente et quarante vaisseaux mouillaient déjà dans le port. Après une longue journée d’attente, un fonctionnaire médical monta à bord. Tous les émigrés capables de se tenir debout défilèrent devant lui. Ceux qui montraient des signes d’infection furent regroupés. Ces derniers ainsi que les malades dans la cale seraient débarqués sur l’île.

Les passagers durent passer une autre nuit à bord du bateau. Ils étaient demeurés interdits devant l’apparence de la station de quarantaine. Le débarcadère avec ses planches cassées et ses appuis branlants était dans un état lamentable et faisait du transport des malades une opération difficile et dangereuse. Deux hangars, non loin du quai, semblaient attendre les malades. Ces hangars deviendraient le lieu de leur hospitalisation.

Les émigrés Irlandais étaient enfin parvenus, après de longues souffrances, sur cette terre d’exil où enfin, ils retrouveraient leur dignité.  Si leurs épreuves avaient été le fait de causes naturelles, elles auraient été plus tolérables.  Mais la famine, provoquée artificiellement amena la peste. Après avoir été privés de nourriture, du droit de posséder la terre dans leur propre pays, ils furent subjugués par des hordes de rufians et de bandits ayant pour mission de les molester de toutes manières possibles. Le summum fut atteint lorsque les dépossédés furent chassés de leur pays et transportés dans les cales des bateaux les plus délabrés du monde vers une terre inconnue.

Le 28 avril, deux membres du clergé, un prêtre catholique et un ministre anglican sont montés sur le bateau. Sans hésitation, ils se sont rendus dans la cale apporter un peu de secours aux malades et aux mourants.  Puis, on descendit les chaloupes pour conduire les malades à terre. Les matelots refusant d’accomplir ces tâches, on avait fait appel à des bénévoles pour descendre les malades et les morts à terre.

Les navires continuaient à arriver par dizaines. Il y avait toujours une file interminable de navires dans le port. La station de quarantaine souffrait d’une insuffisance lamentable de personnel médical et était toujours surpeuplée de malades. Les membres du clergé tentaient bien de faire pression auprès du gouvernement canadien pour l’érection d’abris supplémentaires, mais il n’y avait  pas encore à cette époque un vrai gouvernement canadien. C’était un gouvernement colonial. Le Canada était gouverné par le ministère de l’intérieur et on ne pouvait  espérer beaucoup plus.

L’île de la quarantaine est une île aux bruits troublants.  En plus de la triste symphonie des cris de douleur et des divagations des malades, on entend sans cesse un sinistre rappel, celui de la récolte faite par le Moissonneur, ces petites charrettes qui transportaient les morts à l’ouest de l’île   où étaient  creusées les tranchées et dont les roues mal graissées faisaient entendre des sons lugubres. Ces tâches devaient se poursuivre nuit et jour. On entassait jusqu’à dix corps à chaque voyage. Certains jours, on estime que le nombre de décès s’est élevé  jusqu’à cent ou plus. 

Au mois de juin 1847, on compte 37 vaisseaux dans le port de l’île. Les vaisseaux laissent deux à trois cent malades en moyenne. Et ce n’est là qu’une fraction de la flotte de fantômes.  Cette île est un paradis naturel. L’homme en a fait un enfer.  Il y a une abondance d’oiseaux chanteurs, de lièvres, d’écureuils et de tamia.  L’île est reconnue comme une réserve faunique puisqu’elle est sur la principale route de migration des oies.

A l’origine, les hangars devaient loger deux cent personnes. Des agrandissements sommaires furent ajoutés lorsque, non pas des centaines, mais des milliers d’émigrés commencèrent à arriver sur l’île. La promiscuité et la saleté ressemblaient à ce que les gens avaient  connu sur le bateau. Les couchettes étaient  disposées sur deux étages de sorte que ceux des étages du bas étaient  la cible des déchets et des excréments venant d’en haut. Les gens étaient  entassés, sans considération de leur âge ou de leur sexe et laissés à eux-mêmes pour mourir ou survivre selon leurs propres ressources. A de longs intervalles, des aides leur apportaient de la nourriture et de l’eau. Les morts étaient  enlevés seulement à des heures précises, ce qui fait que souvent, les vivants pouvaient  être étendus à côté d’un mort et ce, pendant des heures. Avec tout ce désordre, les patients devaient  souvent partager le même lit étroit avec un autre patient.

Les quelques médecins de l’île ne peuvent s’occuper que d’une très petite fraction des plus atteints. Ils se dépensent sans compter au service des malades. Ces médecins aussi bien que tout le personnel de l’île furent héroïques, risquant à tous moments leur vie pour soigner ces malades.

Le gouvernement a reçu plusieurs avertissements au sujet des installations qui sont désespérément inadéquates. Malgré l’urgence de la situation, pratiquement rien n’est fait. On a ouvert  les prisons de Québec pour soutenir le personnel en place. Ces aides supplémentaires sont surtout des mercenaires n’ayant aucun intérêt pour les problèmes des patients. Beaucoup sont des épaves qui s’adonnent à l’alcool et qui font la fête tard dans la nuit. Une unité de l’armée est  affectée sur l’île soi-disant pour y maintenir l’ordre, mais il semble que les soldats sont à l’origine d’à peu près tous ces désordres chez les aides. Si l’argent dépensé pour les maintenir ici avait été dépensé pour l’amélioration des services, on aurait fait un bien meilleur usage des fonds publics.

Environ 15 prêtres catholiques essaient de répondre aux requêtes illimitées de secours, soit une aide spirituelle ou soit une aide dans les diverses détresses que les patients rencontrent dans leur lutte pour survivre. Les patients sont sensibles à ce dévouement. Malgré les ravages de la fièvre et de ses symptômes révoltants, les malades réussissaient invariablement à dire un bon mot ou à exprimer de la gratitude pour les services rendus.

La semaine précédente, un envoyé spécial avait été délégué au gouvernement de Montréal. Après une attente de plus de deux heures, monsieur Draper les avait  finalement reçus. Il s’est montré poli, mais distant. Il leur a répondu que le gouvernement avait des affaires plus urgentes à régler pour le moment et leur a conseillé de s’adresser au secrétaire provincial.  Ce dernier était introuvable. Ils retournèrent donc au bureau de Draper qui les a prévenu qu’ils ne devaient pas faire trop de publicité autour de l’affaire de Grosse-Île.

Les faits qui précèdent, que je viens de vous raconter,  ont été tirés du journal de Gerald Keegan. Ce maître d’école est mort à Grosse île le 29 juin 1847.  Cet homme avait donné sa vie pour son peuple, car c’est en acceptant de demeurer sur l’île qu’il avait  contracté la maladie. Quand il était débarqué du bateau, sa femme l’accompagnait. Après quelques jours à se dévouer auprès des malades, elle avait contracté la terrible maladie et était décédée en quelques jours.  Keegan l’avait enterré tout près et n’avait pas voulu quitter l’île. Avant de mourir, il avait quand même eu le temps de confier son précieux journal à un prêtre en lui recommandant de le faire publier pour que l’humanité n’oublie jamais le sort horrible que le peuple irlandais avait dû subir.  Mais ce ne fut pas sans peine.

Durant l’année 1847, 106,000 immigrants sont arrivés au Canada dont 68,000 sont passés par Grosse-Île. De ce nombre, 8691 ont été admis à l’hôpital. La mortalité a atteint 17,300 personnes, soit 17 pour cent du total.   L’immigration irlandaise de 1847 restera probablement l’une des plus importantes qu’ait connue l’humanité au 19e siècle. Cette année là, 221 transports avaient quitté l’Irlande tandis que 140 venaient d’Angleterre, 42 d’Écosse et 36 d’Allemagne. Voyons la suite de cette histoire extraordinaire. Poursuivons notre récit.

Dan O’Connor, l’oncle de Gerald Keegan était arrivé juste à temps à Grosse île pour dire quelques mots à son neveu avant qu’il ne décède.   Comment O’Connor s’était-il rendu à l’île, nul ne le savait, l’île étant interdite à quiconque n’y travaillait pas d’une manière ou d’une autre mais n’eut été de la détermination de Dan O’Connor, de se rendre à Grosse-Île,  le journal si précieux qui relatait dans le détail les souffrances et les persécutions de ce peuple opprimé, aurait sans doute été perdu ou détruit. L’histoire du voyage de Dan O’Connor vers la Grosse-Île ressemble à un conte fantastique sorti en ligne droite des légendes d’autrefois.  Le récit de ce voyage  fut  rassemblée par les éditeurs de la version anglaise du journal de Gerald Keegan,  Summer of Sorrows.

Précédemment à ces émigrations massives, des immigrés irlandais étaient venus s’installer à Huntingdon, dans le bassin de la rivière Chateauguay. Jusqu’à tout récemment, des descendants directs de ces pionniers se rappelaient avoir entendu parler du journal et du voyage téméraire de O’Connor. La cohérence de ces récits ne laissait aucun doute quant à la véracité des détails les plus importants. Voici donc cette histoire peu banale.

Par une fin de journée particulièrement torride, O’Connor et sa femme, Honora, s’affairaient à couper du foin avec une faucille dans un champs situé à un jet de pierre de leur ferme, non loin d’Huntingdon.  Dans le calme et la chaleur  de cet après midi, O’Connor se releva soudainement et dit à Honora qu’il avait l’impression qu’ils n’étaient pas seuls dans le champs. Honora pensa que son mari était accablé par la chaleur et ils s’arrêtèrent donc pour s’asseoir à l’ombre d’un petit arbre et se reposer quelque peu.

A peine assis, ils aperçurent deux formes squelettiques, debout près d’une souche à environ 50 verges. Il s’agissait de deux jeunes filles même si leur apparence était celle de femmes plus âgées, décharnées, les os tendaient la peau de leur visage. Pendant quelques minutes, personne ne bougea ni ne parla. Finalement, les deux créatures s’approchèrent et d’une voix plaintive, elles appelèrent “oncle Dan”. Celui-ci, croyant qu’il avait affaire à deux enfants démentes, leur demanda pourquoi elles l’avaient appelé oncle Dan. Elles répondirent qu’elles s’appelaient Ellen et Kathleen et ajoutèrent que le nom de leur père était Jérémiah O’Connor qui était le frère de Dan. Leur oncle leur demanda où était leur père; elles lui racontèrent ce qui était arrivé et ajoutèrent que leur cousin Gerald était atteint de la fièvre sur la Grosse-Île.

L’histoire semblait tellement inconcevable que O’Connor et sa femme n’arrivaient pas à le croire. Ils pensèrent d’abord que cette histoire avait été inventée de toute pièce. Tous les doutes s’effacèrent quand une des filles remit à O’Connor une lettre écrite par Gerald Keegan et dans laquelle il demandait à son oncle de prendre la responsabilité de ses deux nièces.

Les deux jeunes filles furent amenées à la maison où Honora leur prodigua des soins tendres et affectueux pendant que Dan se préparait à  prendre la prochaine  diligence pour Montréal afin de se rendre à la Grosse-Île. Après un léger et nourrissant repas, les filles purent reprendre le fil de leur récit.

Quand la fièvre les avait quittée, on les avait mis sur un bateau en partance pour Montréal avec la précieuse note de Keegan et ses instructions comment se rendre à la ferme de O’Connor à leur descente du bateau. Les deux jeunes femmes  avaient été deux jours sur le bateau sans nourriture, exceptée celle mendiée auprès des autres passagers, eux-même assez mal pourvus. Au moment ou un policier leur ordonnait de s’en aller, un ministre protestant passa et intervint. Elles lui montrèrent la lettre de Keegan. Après l’avoir lue, le ministre les conduisit à un bateau amarré dans le canal. Il demanda au capitaine d’amener les deux jeunes filles à Beauharnois, offrant de payer le passage. Ce dernier les prit à bord mais refusa l’argent. Toujours aussi obligeant, le ministre donna l’argent quand même et s’éclipsa.

Une fois descendues à Beauharnois, les deux jeunes filles étaient complètement   désorientées car tout le monde parlait français. Elles eurent recours à un homme qui chargeait de la farine sur une charrette.  Il lut la lettre et heureusement pour elles, il parlait anglais. Son nom était Mc Gregor, il voulait bien les aider mais avait peur de la contagion. Il les fit asseoir à l’arrière de la charrette et entra dans une taverne. Quand il en ressortit, il se mit en route vers sa maison et permit aux deux soeurs de dormir sur un tas de  foin dans sa grange. Au matin, il leur indiqua comment se rendre à la ferme de leur oncle. Les deux jeunes filles durent marcher toute la journée pour retrouver celui-ci. On connaît la suite.

Revenons à O’Connor.  La diligence le déposa à Pointe Saint-Charles non loin du quai où les immigrés étaient débarqués. A l’auberge, toutes les conversations tournaient autour de la fièvre, la peste comme on l’appelait. La situation était sans doute la même qu’à Grosse-Île, des centaines de personnes succombaient chaque semaine.

Le lendemain matin, O’Connor prit un vapeur pour Québec. Un peu après Trois-Rivières, il croisa un bateau dont le pont inférieur était bondé de passagers vêtus de haillons. D’après un membre d’équipage,  aucun de ces bateaux n’arrivait à Montréal sans avoir une rangée de corps entassés dans un coin du pont.

A Québec, O’Connor loua une chambre dans une  petite auberge près du quai. Le lendemain, il demanda à l’aubergiste comment se rendre à la Grosse-Île. Il lui fut répondu que les gens n’y allaient pas, ils en sortent ou autrement ils y sont enterrés. Il se rendit quand même au quai où une sentinelle l’interpella. Pendant qu’il plaidait sa cause, un clerc, grand à l’allure militaire arriva et voulut savoir ce qui se passait. Apprenant que le but de sa visite était de voir Keegan, le  ministre qui avait bien connu celui-ci se laissa fléchir mais le prévint que son neveu était peut-être déjà  mort.  Comme il retournait à l’île, il conduisit O’Connor devant la sentinelle et lui dit qu’un nouvel assistant l’accompagnait. 

La marée permit au bateau de voguer à une bonne vitesse et à peine deux heures plus tard, ils étaient en vue de la flotte de navire qui mouillait devant Grosse-Île et des longues rangées de hangars.

Le révérend amena son compagnon auprès de Gérald Keegan qui était mourant et presque inconscient.  La conversation entre les deux hommes a été relatée plus haut.

Après voir aidé à ensevelir son neveu, O’Connor partit à la recherche d’informations sur son frère Jérémiah. Ce qu’il découvrit était extrêmement pénible. Une sévère attaque de fièvre, en plus de toutes les autres épreuves endurées, avait détruit son frère à la fois dans son corps et dans son esprit. Il se déplaçait comme un somnanbule. Cependant, même s’il était coupé de la réalité, il pouvait accomplir des tâches toutes simples. A la requête de Keegan, le docteur Douglas avait eu la bonté de lui donner une petite cabane à côté d’un jardin qu’il aidait à entretenir. Le gardien du phare vivait avec lui et le surveillait.

On montra au visiteur où Jérémiah logeait. Il le trouva dans la cabane, étendu sur une couchette, les yeux fixés au plafond. Il ne reconnut pas son frère en dépit des efforts de ce dernier pour attirer son attention. De voir son frère dans cet état fut une épreuve déchirante pour O’Connor. Il espéra contre toute espérance, mais chaque heure qui passait ne faisait que souligner la futilité d’essayer de ramener son frère à la réalité.

Au coucher du soleil, le malade se leva, une lueur étrange dans les yeux et, marchant tranquillement, il se dirigea vers le phare. Debout au bord de l’eau, ses longs cheveux blancs flottant au vent, il contempla le fleuve. Levant la main droite, il salua tout ce qu’il apercevait. Il resta ainsi longtemps, regardant fixement devant lui.

Le gardien du phare explique que la même scène se reproduisait chaque soir après le coucher du soleil.  Dans sa vision, Jérémiah voyait passer des bateaux d’émigrants, il comptait le nombre de passagers squelettiques assemblés sur le pont de chaque navire.

O’Connor dû abandonner son frère à ses rendez-vous  nocturnes avec les fantômes de son passé. Malgré sa peine, il quitta le phare, déterminé à revenir sous peu pour amener son frère avec lui.   Le docteur Douglas lui promit   qu’entre temps, on prendrait grand soin de lui, car dans son état actuel il ne serait pas prudent de lui faire remonter le fleuve sur un bateau d’immigrants.

Près des hangars, un gardien arrêta Dan O’Connor, le soupçonnant d’être un malade en fuite.  S’étant informé, il découvrit que la seule manière de quitter l’île était d’obtenir un passage sur un des bateaux. Solution qui ne lui plaisait pas outre mesure, sachant ce qui l’attendait sur ces bateaux.

Son retour ne fut pas sans peine. Il rencontra deux fossoyeurs, pelles sur les épaules, qui portaient des fanaux. D’après ces hommes, des sentinelles étaient postées partout sur l’île. Cependant, l’un d’eux suggéra qu’il y avait peut-être une autre façon.  Son compagnon de travail se préparait à filer chez lui à la faveur de la nuit.  En choisissant l’endroit propice, on pourrait éviter les sentinelles. Après l’offre d’une généreuse récompense, on convint d’essayer.

Pendant que O’Connor attendait le signal du passeur, il observait la façon d’inhumer. En moins d’une heure, deux charrettes remplies de corps arrivèrent, ce qui semblait confirmer les rumeurs voulant qu’au plus fort de l’épidémie, le taux de mortalité sur l’île fut entre 50 et cent par jour. Il remarqua aussi que les tranchées creusées en lignes parallèles avaient cent pieds de longueur et quelques pieds de profondeur, pas assez profondes pour protéger les cadavres des hordes de rongeurs qui infestaient l’île.

Quand l’ouvrier lui fit signe,  O’Connor, le rejoignit et le suivit jusqu’à une cachette près de l’eau où une embarcation était dissimulée. Ils glissèrent sur le courant et une petite voile fut hissée. Avec l’aide supplémentaire d’une paire de rames, ils atteignirent l’autre rive et cachèrent le bateau immédiatement. Malgré la brise, la nuit était chaude et O’Connor s’étendit pour dormir. Tôt le matin, il se dirigea vers la maison de ferme la plus rapprochée dans le but d’obtenir un peu de nourriture. D’un geste menaçant, le fermier lui ordonna de s’en aller, le soupçonnant d’être un malade évadé.

Il se mit en route pour faire à pied le trajet jusqu’à Québec, n’osant pas risquer une autre aventure de ce genre.  Juste avant midi, il rencontra un homme qui halait de petits billots avec un cheval. Il dit à l’homme qu’il avait très faim. Sur ce, l’homme lui donna une portion de son repas.

Tard cette nuit là, exténué, les pieds endoloris, il arriva à l’auberge où il avait déjà logé. L’aubergiste le conduisit immédiatement dans une pièce en arrière.  “Restez ici, lui dit-il, et pour l’amour de Dieu, ne vous montrez pas. Si les clients apprenaient que vous arrivez de l’île, ils s’enfuiraient tous sur le champs. Je vous apporterez quelque chose à manger”.

Après le repas, son hôte revint. Il voulait entendre le récit de la visite à Grosse-Île tout en lui parlant des choses terribles qui arrivaient aux immigrants à Québec, Montréal et tout le long de la voie fluviale jalonnée de cimetières.

La nuit qui suivit, O’Connor lut attentivement le journal de son neveu. En dépit du fait que chaque membre de son corps était endolori, il ne s’arrêta qu’aux petites heures du matin quand la lampe manqua d’huile. Même s’il avait entendu toutes sortes de nouvelles concernant les épreuves que les Irlandais traversaient, il fut très ému et impressionné par le message du petit livre. En fait, il se rendit compte qu’il était au courant de bien peu de choses sur l’ensemble de la situation avant la lecture du journal.

La lecture de ce journal le remua profondément, mais il tira cependant un avantage de son aventure. Ce journal était une possession précieuse, un message vivant d’un jeune homme et par le fait même de tous les pauvres immigrants.

Le reste de l’histoire de Dan O’Connor est bref.  Ne trouvant pas d’autres moyens de transport, il dut voyager à bord d’un des bateaux pour Montréal.  Durant deux jours et une nuit, il dut partager l’horreur d’être confiné dans une sorte de maison flottante pour pestiférés. Quinze passagers moururent avant d’arriver à Montréal.

Heureusement pour lui, il ne contracta pas la peste. Craignant d’en être porteur, les premiers jours suivant son retour il prit la précaution de dormir dans un petit hangar adjacent à sa maison. Il rapportait avec lui le précieux journal manuscrit de son neveu.

Plus tard au cours de l’été, alors que l’épidémie avait diminué, il retourna à Grosse-Île visiter son frère.  Comme ce dernier s’acquittait aussi bien que possible de ses tâches, le docteur Douglas suggéra qu’on le laisse là et promit de le prendre sous sa protection. Il mourut quelques semaines plus tard.

Mais l’histoire des irlandais ne s’arrête pas à Grosse-Île.  Tous ceux qui étaient guéris pouvaient  quitter l’île et se diriger vers Québec, Montréal, Ottawa, Kingston, Toronto et même au-delà de la frontière américaine, à Détroit. Ce fut le cas pour William Ford, père de Henry Ford, dont l’épouse Mary fut inhumée à la station de quarantaine. Pour ceux qui ne descendaient pas à Grosse-Île le seul examen médical consistait à montrer la langue en passant devant l’officier médical. Ce dernier devait parfois examiner jusqu’à cinq ou six cent émigrés arrivant sur un même navire. Plusieurs de ces passagers auraient dû rester à Grosse-Île et être soignés, mais il furent entassés sur des bateaux jusqu’à Québec et Montréal.

Dans l’état de faiblesse ou ils se trouvaient, ils étaient des proies facile pour le typhus. Les bateaux laissaient leurs effroyables cargaisons à la pointe est de l’île de Montréal, appelés Pointe St-Charles. Et c’est ici que, dans la plus grande ville du Canada, eut lieu une autre tragédie rivalisant avec celle de Grosse-Île.

Montréal était une contrepartie de Grosse-Île; en réalité, une même description pouvait convenir à chacun des abris pour pestiférés, de St-Jean, Nouveau-Brunswick, jusqu’à Toronto. A Pointe St-Charles, on était mal préparé à recevoir tous ces immigrés. Le taux de mortalité était une honte pour le gouvernement. Une fois de plus, nous étions devant un grand rassemblement d’êtres humains sans que les autorités aient pris des mesures d’hygiène afin d’éviter les risques de contagion. Pendant qu’on s’échangeait des lettres entre les autorités locales et le gouvernement, l’épidémie de typhus était à son apogée à Montréal. Finalement, le gouvernement érigea trois hangars de 150 pieds de long sur 40 pieds de large à la Pointe St-Charles.  Onze autre furent érigés à Windmill Point où des milliers d’autres émigrés malades continuaient d’arriver. Le taux de mortalité le long du fleuve à Pointe St-Charles était consternant.

Dans des hangars d’urgence érigés à la hâte, les malades, désespérément négligés mouraient par vingtaine, dans la puanteur et  la chaleur. Par manque de préposés, les corps étaient jetés dans des fosses peu profondes non loin de là, à mesure qu’ils succombaient à la maladie. Dans toute l’histoire de Montréal, il n’y a pas eu d’événements plus pitoyables. Des centaines d’enfants se retrouvaient orphelins. Plusieurs des plus petits devaient être arrachés des bras d’un parent mort soudainement. Les plus âgés erraient partout à la recherche de leurs parents, déjà ensevelis dans les fosses. Ce qui se passait dans l’abri des enfants dépassait toute description.

La caractéristique la plus pathétique de toute cette catastrophe, autant en Irlande, sur mer qu’au Canada, fut le grand nombre d’enfants laissés seuls et sans amis, dans le sillage de la famine et de la fièvre. Les enfants assez âgés pour se rendre compte de ce qui se produisait étaient souvent retrouvés dans un état pitoyable près du corps d’un parent. Ceux qui étaient trop jeunes pour saisir toute la signification de la mort étaient fréquemment abandonnés, parfois pendant des heures, pleurant désespérément près du corps d’une mère qui jamais plus ne répondrait à leurs besoins d’attention. Pour le parent mourant, c’était un choc de penser à l’état d’abandon où se retrouverait son enfant, dans l’atmosphère effroyable d’un hangar de pestiférés. Plus de 600 enfants seraient devenus orphelins seulement à Grosse-Île. Si on ajoute à ce nombre les décès sur les navires et dans tous les endroits au Canada ou la fièvre sévissait, il y aurait eu au total plus de 2000 orphelins. Pour obvier à cette situation, les prêtres, lors de l’office du dimanche, demandaient à leurs paroissiens d’adopter ces enfants. Tous ces orphelins presque sans exception furent adoptés et un bon nombre d’entre eux conservèrent leur nom d’origine.

Le dévouement sans borne des membres du clergé, aussi bien catholique qu’anglican fut remarquable.  Ces gens durent supporter la fatigue et l’angoisse d’une telle situation tout en essayant d’éviter le plus possible de contracter la maladie. Malgré toutes les précautions prises, plusieurs ecclésiastiques y laissèrent leur vie. Huit en tout. Plusieurs autres contractèrent la maladie mais se rétablirent.  Les médecins furent tout aussi héroïques. Il risquèrent librement leur vie pour soigner tous ces pauvres gens infortunés, victimes de toute une chaîne d’injustices qui les laissa démunis et abandonnés dans des hangars d’une terre étrangère.

On fit même venir de l’état de New-York deux prêtres catholique qui furent envoyés à Montréal pour  servir de traducteurs entre les malades et les prêtres français de la colonie. Dix sept religieuses de trois communautés hospitalières y  laissèrent aussi leur vie.  A l’été de 1847, par une chaleur étouffante, il y avait à Montréal 11,000 malades. On peut facilement comprendre que les soins constants requis par un aussi grand nombre de malades épuisèrent bien vite toutes ces braves religieuses.

Le maire de Montréal, John Easton Mills, contracta la maladie après avoir fait de nombreuses  visites aux malades. Il avait 51 ans.  Il se rendait tous les jours auprès des malades et y restait de nombreuses heures, essayant d’aider le personnel surchargé. On comprend maintenant pourquoi on a donné son  nom à une rue à ce secteur de la Pointe St-Charles.

Toutes les grandes régions habitées du Bas et du Haut Canada furent affectées par la peste. Kingston et Ottawa durant créer des installations d’urgence pour accueillir ces foules de malades et de mourants qui réussissaient  à se rendre aussi loin à l’intérieur des terres.

A Toronto où la maladie se manifesta tôt au début de l’été, les hôpitaux consistaient en des abris érigés à la hâte sur le quadrilatère entre les rues Peter et John, au nord de la rue King. En 1847, à Toronto, 836 personnes moururent du typhus. Elles furent inhumées dans le cimetière de St-Paul .

Un climat de panique a régné tout le temps que l’épidémie fit rage. Plusieurs personnes apeurées par cette maladie se réfugiaient à la campagne. Etant donné que la majorité des citoyens du Haut Canada étaient des citoyens d’origine britannique, l’affluence des Irlandais provoqua un ressentiment plutôt violent. Même s’ils n’avaient pas apporté la fièvre, ils n’étaient pas les bienvenus. Ils étaient avertis par des pancartes qu’on ne voulait pas d’eux lorsqu’il s’agissait d’emplois ou de logement.

En 1897, au 50e  anniversaire de la tragédie de Grosse-Île, la branche québécoise de The Ancient Order of Hibernians tint un service commémoratif à l’île. Les membres de l’ordre furent offusqué de l’état du site de sépulture.  Les centaines de personnes présentes à l’île furent unanimes à appuyer un mouvement pour ériger un monument et améliorer l’état des lieux. Aujourd’hui, un monument de 46 pieds de hauteur se dresse à un endroit de l’île appelé “télégraph hill”.

Plusieurs autres monuments ont été érigés partout au Canada où des Irlandais sont morts que ce soit à Ottawa, à Toronto, à Kingston ou ailleurs. Mais il y en a un qui nous touche particulièrement ici même à Montréal et que nous avons vu des centaines de fois sans trop savoir ce qu’il représentait.

Ceux d’entre vous qui  traversent le pont Victoria matin et soir ou qui ont déjà eu à le faire ont sans doute remarqué, à la sortie du pont vers Montréal, sur la rue Bridge,  une grosse pierre noire entourée d’une clôture.  Voici l’histoire ce cette pierre.

En 1859, des ouvriers employés à la construction du pont Victoria avaient exhumé des ossements en creusant les voies d’accès au nouveau pont.  Ces ouvriers étaient bien au courant  des circonstances qui avaient entraînées la mort de ces milliers d’immigrants irlandais et souhaitaient faire quelque chose pour préserver leurs restes d’une nouvelle profanation.  Une grosse pierre, retirée du lit du fleuve lors de l’installation des  piliers semblait  être un monument naturel.

A l’été de 1847, 6000 émigrants furent enterrés à Pointe St-Charles, aux approches du pont Victoria. Le pont n’existait pas encore, seulement les embarcadères de bois pour les traversiers qui amenaient les gens à l’île Moffat et à la rive sud. Montréal avait alors une population de 50,000 habitants. On parlait du chemin de fer et  on avait besoin de main-d’oeuvre pour l’installation des rails jusqu’au Pacifique. Les Irlandais sont venus, pauvres, affamés par la disette de la pomme de terre, dépossédés par les lord anglais.

Le pont Victoria, dont l’originalité de la structure tubulaire le faisait considérer comme la huitième merveille du monde, fut complété en 1859. Des terrassiers irlandais déterraient des cercueils aux abords du pont. Afin de marquer l’endroit, ils sortirent une roche calcaire du fleuve et l’installèrent à l’endroit qu’elle occupe encore aujourd’hui. Les archives du Canadien National montrent que si le site ne marquait pas nécessairement le lieu de repos de tous ceux qui moururent en 1847, ils l’était cependant pour quelques uns. En 1870, un îlot de verdure autour du monument fut donné à l’évêque de Montréal pour le garder en dépôt sacré.

Les rails coururent à travers le Canada. De plus en plus d’employés du chemin de fer s’installèrent à Pointe St-Charles, la majorité était irlandaise. Le Grand Tronc étendit ses gares de triage jusqu’à l’entrée du pont. Le monument et sa bande de terre sacrée nuisaient, bloquant l’expansion des rails. Pour ceux qui l’ignorent, le pont Victoria à l’origine servait exclusivement au chemin de fer. En 1898, les fonctionnaires délibérèrent. “Qui se souvenait de 1847"? “Pourquoi le sentiment devrait-il arrêter le progrès?”  Pourtant, pour les descendants directs des victimes de la peste, la terre natale était ancrée dans la Pointe. Ils en gardaient un vif souvenir.

La  Pointe St-Charles était pauvre mais les  maisonnettes des employés du chemin de fer avaient des rideaux de dentelle aux fenêtres et étaient bien entretenues.  Les résidants gardaient des oies et les engraissaient avec du riz sauvage récolté dans les marécages près du fleuve. C’est pourquoi une partie de la Pointe St-Charles fut surnommée “Village des oies”.

Les fonctionnaires du Grand Tronc, d’abord soucieux, trouvèrent une solution. Ils déplaceraient le monument durant la nuit. S’il y a du grabuge, ce sera vite oublié, dirent-ils. Mais c’était sans compter sur l’esprit combatif des Irlandais. En s’éveillant un matin, les résidents eurent la surprise de constater que le monument avait été transporté du pont au Carré St-Patrick. L’agitation qui suivit dura treize ans et les Irlandais de Montréal s’insurgèrent. “La bande de terre près du pont, dirent-ils, a été consacrée à la mémoire de ceux qui succombèrent à cet endroit”. “Prouvez-le, dit le Grand Tronc”.  La Pointe cria à l’outrage et les société hiberniennes s’y rallièrent.

Le Grand Tronc avait offert à l’évêque une somme d’argent pour le terrain mais celui-ci  avait refusé tout paiement pour cette terre sacrée. On chercha frénétiquement les titres originaux de propriété. En 1911, après des années de litige, les Irlandais découvrirent enfin l’acte de propriété dans les archives de l’Eglise Anglicane dans la cathédrale de Christ Church. L’acte fut remis aux plaignants par Mgr John Farthing lui-même  un irlandais du nord.

Avec cette preuve de consécration et un titre de propriété à perpétuité sans équivoque, la compagnie Grand Tronc fut forcée de replacer le monument où les terrassiers l’avaient posé, de clôturer cet îlot et de voir à ce que  l’endroit soit propre et bien entretenu. Le monument fut rapporté du Carré Saint-Patrick sur un wagon plate-forme avec des rails posés spécialement pour son déplacement et la Pointe connut à nouveau la paix.

Quand le Canadien National absorba le Grand Tronc, il hérita de l’obligation de préserver le monument.  Aujourd’hui, le gazon est vert et l’inscription ciselée rappelant la tragédie est resté brillante. On dit que 6000 irlandais furent inhumés aux alentours, mais c’était un temps de panique et les registres étaient mal tenus. Il y a pu en avoir le double. En ces années, les terrassiers exhumaient des ossements aussi loin que la rue Wellington.

Les gens de la Pointe St-Charles sont restés attachés à leurs origines et le monument près du pont rappelle cet épisode de l’histoire de Montréal. La prochaine fois que vous passerez à la Pointe St-Charles, ou plus précisément à la sortie nord du pont Victoria, prenez le temps de jeter un coup d’oeil sur le monument érigé à la mémoire de ces gens qui sont venus en terre canadienne trouver un refuge contre la tyrannie et la  promesse d’un avenir meilleur.

Revenons  maintenant à Grosse-Île. Nous avons vu au début de cette causerie qu’après les guerres de Napoléon en 1815, des milliers de personnes quittaient les îles britanniques pour émigrer vers le nouveau continent. Vers 1830, uniquement à Québec, de loin la principale porte d’entrée du Canada, cet exode représentait une moyenne annuelle de 30,000 arrivants dont les deux tiers environ étaient des Irlandais. Cette immigration sans précédent sur le St-Laurent survenait au moment où de grandes épidémies s’abattaient sur l’Europe entre 1829 et 1837, mais aussi sur la Grande-Bretagne. La seconde pandémie de choléra frappe l’Angleterre entre 1831  et 1832.  Ce sont les migrants, dont les  irlandais qui s’embarquent souvent dans les ports anglais, qui transportent le choléra en Amérique et au Canada. Une pandémie est l’extension d’une maladie contagieuse à tout un continent ou à toute la planète.

C’est l’arrivée du terrible fléau sur le St-Laurent qui motive le décision subite des autorités coloniales à mettre sur pied une véritable station de quarantaine à la Grosse-île, située dans le fleuve à 48 kilomètres en aval de Québec. Cette halte de sécurité est de nouveau confrontée au choléra en 1834, avant de livrer bataille en 1847 et 1848 à une épidémie plus meurtrière encore, celle du typhus, dont les principales victimes sont, une fois de plus, les immigrants irlandais. En nombre encore jamais vu (environ 100,000 se dirigent vers Québec en 1847), ils fuient la terrible famine de la pomme de terre qui afflige leur pays. Cette ère d’épidémies virulentes prend fin après une nouvelle attaque du choléra, en 1854.

Ces première décennies d’existence de la quarantaine de la Grosse-Île portent d’autres marques bien caractéristiques. Gestion coloniale d’une émigration dite britannique, donc sans véritable droit de regard canadien sur ce mouvement de population. Fonctionnement de la quarantaine empreint de précipitation, d’improvisation et de tâtonnements. Ignorance des causes, des modes de propagation et des traitements des maladies infectieuses. Incapacité quasi chronique d’accueillir et de traiter sécuritairement le large flot des migrants, surtout malades. Ajoutons à ce canevas les longues traversées océaniques à bord de voiliers surchargés et insalubres, et nous avons sous les yeux une situation explosive et hors de contrôle, de quoi comprendre, par exemple, le décès de milliers d’Irlandais à la Grosse-Île en 1847.

Si l’histoire et la légende ont assez rapidement perpétué le souvenir de cette période noire de la quarantaine laurentienne, elles n’ont pas rendu justice, en revanche, à la face cachée du passé de la Grosse-Île, ces nombreuses années consacrées à la recherche de l’efficacité et de la modernité en matière d’accueil des immigrants et de traitement des maladies contagieuses.

La grande famine d’Irlande qui s’échelonna de 1845 à 1848-1849, atteint son point culminant en 1847. Au port de Québec et à la Grosse-Île, la situation devient rapidement tragique. On doit, en une seule saison, accueillir plus de 100,000 émigrants alors que les arrivages des années précédentes se situaient en moyenne autour de 25,000 à 30,000 personnes. Ces immigrants, qui étaient en très grande majorité d’origine irlandaise étaient donc déjà affaiblis par la malnutrition et la famine. Ils étaient entassés à bord de voiliers insalubres et impropres au transport humain. Ils arrivaient dans un état déplorable et plusieurs étaient malades, victimes du typhus, qui prenait rapidement l’ampleur d’une épidémie.

A Grosse-Île, la situation est précaire. Les installations de la quarantaine, bien que fortement augmentées au cours de la saison, suffisent à peine à répondre aux besoins. Le personnel est débordé. Plusieurs bateaux en attente des inspections et des soins médicaux appropriés, mouillent au large de l’île.

Le bilan est sombre. Plus de 5000 décès en mer, 5424 sépultures à Grosse-Île, des milliers de morts dans les diverses villes canadiennes.

Dans les années 1850, mais bien davantage à partir de la Confédération de 1867, le gouvernement canadien élabora une vaste politique d’immigration et de peuplement qui exigea la mise sur pied d’un service de quarantaine fiable et efficace. La mémoire était encore imprégnée des catastrophes pas si lointaines et des leçons à tirer, bien apprises. Sur place, à la Grosse-Île, le maître d’oeuvre de cette relance de la quarantaine fut le docteur Frédérick Montizanbert, spécialisé en bactériologie et surintendant médical de la station de 1869 à 1899.

Montizanbert fixa d’abord le schéma d’occupation de l’île en s’assurant de l’absence absolue de contact entre les immigrants malades et les voyageurs en santé ou sous observation. Puis, au fil des ans, des conjonctures migratoires et économiques, et de ses budgets, il renouvela le parc immobilier de la station, hôpitaux, logements de voyageurs, résidences de travailleurs, chapelle. Il fit adopter de nouveaux règlements de quarantaine afin d’éliminer, autant que possible, les échappatoires et le laxisme.

Bien au fait des grandes découvertes scientifiques et médicales en matière de diagnostic, de traitement et même de prévention des maladies infectieuses , Montizanbert soumit la navigation et l’immigration à des contrôles de santé toujours plus stricts et efficaces: inspection, désinfection des bateaux, des passagers et des bagages, vaccination, analyses en laboratoire. Ces initiatives répondaient à des conjonctures nouvelles: mondialisation de l’immigration, multiplication des maladies infectieuses, rapidité des traversées grâce aux navires à vapeur.

C’est d’ailleurs la prolifération de ces vapeurs et leur niveau de confort toujours plus grand qui amena le surintendant à moderniser les structures d’accueil et d’hébergement à la Grosse-Île. A la fin du siècle, et jusqu’à la première guerre mondiale, par exemple, des hôtels modernes furent mis à la disposition des trois classes de voyageurs qui, à ce moment, franchissaient l’Atlantique.  Montizanbert avait alors réussi à relever son grand  défi; donner un nouveau sens à l’idée même de santé publique dans un contexte d’immigration, et ceci, en veillant à la célérité du service et au confort des immigrants.

De tels équipements et un niveau de service reconnu mondialement laissaient présager de grandes heures à la Grosse-Île. D’autant plus qu’en ce début de siècle, l’immigration à Québec atteignait des sommets inimaginables. 100,000 personnes en 1910, 170,000 en 1912 et 225,000 en 1914. On prévoyait même construire à la station un nouveau complexe hospitalier vaste et moderne. Mais un concours de circonstances tout à fait particulier renversa rapidement la situation.

La Grande Guerre de 1914 à 1918 et, peu après, la Crise économique de 1929 firent chuter dramatiquement les statistiques d’immigration au pays. De plus, les connaissances médicales dans le domaine de la microbiologie et des maladies contagieuses avaient fait d’énormes progrès depuis le début du siècle et l’hôpital de la Grosse-Île soignait presque exclusivement des infections mineures et infantiles comme la diphtérie, la varicelle et la rougeole. Or, selon les conventions internationales sur la santé, ces maladies ne nécessitaient plus une véritable quarantaine. Quant aux infections graves, (choléra, typhus, variole, ) l’hôpital du Parc Savard de Québec, ouvert depuis 1907, était en mesure de leur faire échec, le cas échéant. La station de la Grosse-Île ferma ses portes en 1937.

L’histoire de la Grosse-Île, dont le premier chapitre s’était achevé dans la noirceur de la tragédie irlandaise, pourrait être considérée par certains comme un affreux mélodrame. Mais en retraçant la suite de cette sordide histoire, nous lui découvrons une fin heureuse, celle de la maladie et de la misère vaincues, celle des morts et des souffrances qui, en bout de ligne et heureusement, n’ont pas été inutiles.

On peut maintenant visiter le lieu historique national de la Grosse-Île.  Cette île est maintenant ouverte au public depuis 1984.  Dès votre arrivée, un guide vous accueillera sur le quai et vous proposera de visiter l’édifice de désinfection. Les expositions présentées à cet endroit vous plongeront dans le contexte historique de la station de quarantaine.

Par la suite, une randonnée d’une durée d’environ 60 minutes vous permettra  d’apprécier les nombreux attraits du secteur des hôtels. Vous aurez la possibilité d’effectuer ce trajet accompagné d’un guide-interprète ou de façon autonome.

Enfin, une balade motorisée vous conduira dans les secteurs du village et des hôpitaux. Quelques arrêts au cours de ce trajet d’environ 60 minutes vous permettront de découvrir des bâtiments témoins d’événements marquants et  chargés d’histoire.

En abordant à la Grosse-Île, vous serez impressionné par l’âme que ce lieu s’est approprié avec le temps. Une indéfinissable ambiance règne dans l’île et vous accompagne pendant votre visite des monuments, des lieux de sépultures, des ouvrages et des bâtiments historiques. Mais auparavant, faisons ensemble une rétrospective de ce qui est arrivé sur cette île de 1847 jusqu’à aujourd’hui.

De 1847 à 1857, différents travaux sont effectués sur l’île et en 1857, la garnison militaire se retire .

En 1863, Edouard Masson arrive à l’île. Il est un employé saisonnier du gouvernement comme boulanger et charretier. Son salaire est de 50 dollars par mois. Il restera au service du gouvernement durant 42 ans.

En 1869, le feu détruit le quartier médical et les dossiers. Le docteur Montizanbert indique qu’un défaut de cheminée est à l’origine du sinistre.

En 1870, on demande à l’archevêché de Québec d’envoyer une maîtresse d’école sur l’île.

En 1874, Edouard Masson est maintenant un résident permanent de l’île. En 1875, une autre chapelle catholique sera bâtie ainsi qu’en 1877 un nouveau presbytère. En 1877, Pierre (Pit) Masson, fils de Edouard,  naît sur la Grosse-Île.

En 1878, le feu détruit trois bâtiments et dévore une partie des registres de la quarantaine. Cet incendie est d’autant plus regrettable qu’on a de justes raisons de croire que cet incendie est allumé volontairement.

En 1889, l’île reçoit une ambulance. 50,879 personnes sont examinées pour la fièvre jaune. Le choléra asiatique est apporté à l’île par un navire qui vient des Philippines.

En 1894, un cas de lèpre est rapporté En 1896, Pierre (Pit) Masson remplace son père Edouard comme ambulancier. En 1897, Johny Masson, fils d’Edward,  se marie à l’île. C’est aussi l’année ou l’Ancient order of Hibernians organise un pélerinage.

En 1898, les salaires des employés sont augmentés. Edouard Masson reçoit 20 dollars de plus par mois. En 1905, Johny  Masson remplace son père comme boulanger.

En 1906, Gustave Vekeman arrive comme interprète. C’est aussi en 1906 que l’institutrice disparaît mystérieusement. On ne l’a jamais retrouvée. A la fin de 1907, la famille de l’interprète arrive à l’île.

En 1915, une ligne de téléphone relie l’île à la terre ferme. C’est aussi la naissance de Freddy Masson, fils de Pierre. En 1916, Gustave Vekeman décède à 75 ans.

En 1922, Johnny Masson meurt accidentellement à l’âge de 50 ans. En 1925, la résidence du médecin chef est détruite par le feu.

En 1928, le frère Marie-Victorin passe l’été sur l’île pour en faire l’inventaire des plantes.

Et en 1929, le salaire de Pierre Masson est réduit de 80 à 60 dollars par mois. Ce dernier est resté durant 45 ans au service de la quarantaine.

En 1937, la station est fermée après 105 années d’opération. Les différents services sont alors centralisés au port de Québec. Deux gardiens restent sur l’île: Pierre Masson et N. Lachance.

En 1943, le département de la défense nationale reprend le contrôle de la Grosse-Île et en assume les dépenses. Ce département, conjointement avec les États-Unis, ouvre sur l’île un centre de recherches sur les maladies animales.  En 1946, un vaccin contre la peste animale est développé.

En 1947, le 19 novembre, un ordre est donné par son excellence le Gouverneur général en conseil, sur la recommandation du ministère de la Défense nationale et suivant les prévisions de la loi des secrets officiels, que la Grosse-Île, comté de Montmagny, soit déclarée place interdite en dedans des significations de la loi.

Cet arrêté en conseil est pris en considération de la nature hautement secrète des recherches bactériologiques effectuées sur l’île et sur la recommandation du pathologiste en chef qui considère que le sol actuel pourrait être toxique dans certaines régions de l’île.

Cet ordre d’interdiction vise en plus la conservation et la protection des installations coûteuses de l’île et qui, étant donné leur nature unique, doivent être maintenues en bon état pour utilisation future   ou en cas d’urgence. Considérant le danger de feu sur cette île fortement boisée, ces mesures visent aussi à éloigner des lieux les touristes qui risqueraient d’endommager ou de mettre en péril les propriétés de la Défense nationale que le personnel réduit à trois gardiens ne peut suffire à contrôler.

En 1947, Pit Masson quitte l’île. Il a 70 ans.

En 1952, une dépêche de la presse canadienne datée d’Ottawa, mentionne que le gouvernement fait faire des expériences sur la guerre microbienne et biologique à la Grosse-Île. Au printemps, le journal Le Droit d’Ottawa fait allusion aux “recherches les plus secrètes du programme de défense, celles qui ont trait à la guerre biologique ou bactériologique”. Selon le même journal, le docteur Soland, président du conseil des recherches de la Défense nationale, révèle que “ces recherches font partie intégrante du programme dont le but est de permettre au Canada de se défendre ou de riposter si la guerre chimique ou bactériologique se déclarait. Des savants poursuivent sur la Grosse-île des expériences qu’ils hésitent à accomplir sur la terre ferme”.

Dans un autre article, Le Droit commente une offre faite par l’Université du Wisconsin à la Chine d’un nombre considérable de doses d’un vaccin secret développé en vue de protéger le bétail américain contre des germes éventuels provenant des japonais. Il s’agirait d’un vaccin pouvant immuniser contre la peste bovine, la pire maladie pouvant s’attaquer au bétail. Le même article mentionne que le vaccin a été développé par des savants dans un laboratoire secret de la Grosse-Île.

En 1961, le 23 février, un arrêté en conseil proclame que les avions ont le droit de survoler la Grosse-Île.

En 1965, le ministre de l’agriculture fédéral à Ottawa annonce l’établissement sur la Grosse-Île d’une station de quarantaine d’une absolue sécurité pour le bétail importé d’Europe ou d’autres régions et destiné au marché américain.

En 1967, des boeufs charolais importés de France terminent en mars leur temps de quarantaine à la Grosse-Île. Les bêtes en excellente santé sont acheminées vers sept provinces canadiennes. Ces 215 boeufs valent environ 1,555,000 dollars. C’était la deuxième arrivée de boeufs français charolais depuis 1900.

En 1968, un incendie détruit l’hôpital et la partie arrière où on gardait les animaux. C’est cette même année que la Grosse-Île devient un centre mondial pour les recherches sur les maladies animales. Ces recherches, menées avec la collaboration des États-Unis sont uniques au monde. La Grosse-Île demeure un terrain défendu à tous profanes. Personne ne peut pénétrer sur l’île sans la permission d’Ottawa et cette permission se donne rarement.

En 1980, l’agent responsable de l’île, Freddy Masson, prend sa retraite mettant ainsi fin à une lignée de Masson qui ont travaillé pendant 117 ans à l’île. L’île accueille sont nouveau directeur administratif.

En 1981, Jeannette Vekeman Masson publie un livre, Grand-maman raconte la Grosse-Île. C’est le début d’un grand mouvement de sensibilisation à l’histoire de la Grosse-Île.

En 1982, on fête le 150e anniversaire de l’ouverture de la quarantaine. L’année suivante, on forme un comité pour la préservation et le développement de Grosse-Île, aidé en cela par le conseil économique de la Côte du sud.

En 1984, la Corporation pour la mise en valeur de Grosse-Île obtient la permission d’Agriculture Canada d’amener au plus 12 visiteurs par jour à la Grosse-Île. Des visites guidées sont organisées. C’est aussi en cette année que le gouvernement fédéral accorde à la Grosse-Île le statut de site historique. C’est aussi l’année du décès de Freddy Masson.

En 1985, la Corporation met sur pied un centre d’interprétation de la Grosse-Île au manoir Couillard-Dupuis à Montmagny. 25 maquettes représentants les bâtiments sont exposées au même endroit.

Le 18 juillet 1987, décès d’Emeril Masson, époux de Jeannette Vekeman, fils et petit fils des Masson, boulangers à Grosse-Île pendant 50 ans.

En 1988, Grosse-Île devient un parc historique national et en 1989, Jeannette Vekeman décède à son tour. La famille Vekeman a vécu à la Grosse-Île de 1906 à 1916. C’est en 1990 que les employés du service canadien des parcs arrivent à l’île et c’est aussi la première utilisation du train balade.

En 1992, 12,000 personnes visitent l’île. Joignons à ces personnes et faisons ensemble une visite virtuelle sur la Grosse-Île. Nous débutons par:

LA CROIX CELTIQUE

En premier lieu, un monument qui ne manque pas d’attirer l’attention par son imposante structure est le monument aux Irlandais érigé en 1909 par l’Ancient Order of Hibernians. Ce monument honore la mémoire des immigrants irlandais victimes du typhus en 1847-1848. La partie supérieure du monument, une croix inscrite dans un cercle à la manière celtique dont les branches dépassent légèrement, est faite de pierre taillée provenant d’Irlande. La croix celtique mesure quelque 15 mètres de hauteur. Elle porte une inscription trilingue, en français, en anglais et en gaëlique, qui rappelle le destin tragique des premiers immigrants irlandais.

LE MONUMENT AUX MÉDECINS

Taillé dans une stèle de marbre, ornée d’une corniche et surmontée d’une urne, le Monument aux médecins fut érigé vers 1853 par le premier surintendant de la station de quarantaine, le docteur Douglas. Il témoigne des événements dramatiques survenus à la Grosse-Île, à l’époque des grandes épidémies, notamment en 1847. Ce serait la plus ancien geste de commémoration posé à Grosse-Île envers les médecins qui payèrent de leur vie leur dévouement auprès des immigrants malades. Les docteurs Benson, Pinet, Mailhot et Jameson, victimes du typhus contracté en 1847, ainsi que les docteurs Panet et Christie, morts respectivement en 1834 et 1837, le premier du choléra, le second du typhus.

LE CIMETIÈRE DES IRLANDAIS

Le cimetière des irlandais a été aménagé dès 1832 sur un espace plat entre des crans rocheux au sud-ouest de la Baie du choléra. On fit, dans ce cimetière, ces inhumations individuelles jusqu’en 1847. Cette année là, en raison de la forte mortalité causée par le typhus, on creusa de longues tranchées dans lesquelles, selon certains témoignages, jusqu’à trois rangs de cercueils étaient superposés! Le relief du cimetière signale encore la présence de ces fosses communes. Le cimetière des Irlandais renfermerait à lui seul plus de 6000 des 7553 sépultures de Grosse-Île. Il doit son nom aux principales victimes des épidémies de choléra (1832, 1834) et de typhus (1847), les immigrants irlandais.

L’HÔTEL DE PREMIÈRE CLASSE

Construit en 1912, ce nouvel hôtel accueillait les passagers placés sous observation médicale. Des bateaux, on ne pouvait manquer d’apercevoir de loin la masse blanche, les cheminées et les hauts pignons de ce long bâtiment en béton édifié sur un promontoire, en retrait des autres logements de détention. En 1916-1917, on y aménagea un pavillon de danse en recouvrant d’un toit la plate forme des anciennes citernes d’eau.

LE LAVOIR

Cet édifice fut édifié en 1855-1856 à proximité du littoral pour servir au lavage des vêtements des immigrants, tâche que ceux-ci effectuaient auparavant dans le fleuve. Son toit à croupes et ses lucarnes, ajoutées après 1908, confèrent à ce long bâtiment de bois une allure harmonieuse et élégante. L’intérieur a conservé trois des quatre masses de cheminées originelles. L’une d’elles est toujours flanquée de réchauds où des chaudrons de fonte servaient au lavage des vêtements. Sa façade sud, percée de nombreuses baies, montre bien le lien de ce bâtiment avec le fleuve. Bâtiment temporaire comme les nombreux autres qui dominaient le paysage, de Grosse-Île à l’époque des grandes épidémies, le Lavoir demeure le seul témoin encore debout d’une des étapes fondamentales de la méthode de désinfection utilisée au milieu du XIXe siècle.

L’HÔTEL DE TROISIÈME CLASSE

L’hôtel de troisième classe, construit en 1914, est le plus récent des trois hôtels de Grosse-Île. Conçu pour loger 280 lits répartis en 52 chambres, c’est le plus vaste des établissements hôteliers de l’île. De forme simple, ce long bâtiment en béton est peint à l’extérieur ce qui atténuait son caractère austère. A l’intérieur,  l’édifice .était novateur comparativement aux autres hôtels parce qu’il situait aux extrémités de chaque étage une cuisine et une salle à manger tandis que la fonction d’hébergement se faisait au centre. L’Hôtel de troisième classe offrait un confort relativement limité. Les chambres, privées de lavabo et dont les cloisons ne rejoignaient pas le plafond, recevaient soit deux, soit quatre bancs-lits. L’électricité et le chauffage central étaient néanmoins intégrés à ce bâtiment dont la construction acheva le renouvellement des structures d’accueil pour les immigrants en santé. Aujourd’hui, l’hôtel de troisième classe abrite la cafetéria qui offre un service de restauration aux visiteurs de Grosse-Île.

L’HÔTEL DE DEUXIÈME CLASSE

Ce bâtiment fut érigé en 1893 à titre d’hôtel de première classe, désignation qu’il conserva jusqu’en 1912. A la suite de l’érection d’un nouvel hôtel de première classe, il fut rétrogradé en logement de deuxième classe. C’est un vaste bâtiment de bois à deux étages qui étire sa façade, face au fleuve, sur une longueur de 46,3 mètres. A l’arrière, une aile perpendiculaire sert de cuisine. A l’origine, l’hôtel était destiné à loger 152 passagers de première classe aussi appelés à bord des bateaux, passagers de cabine. Cela explique sa localisation bien en vue, son air élégant et son aménagement intérieur respectable: grande salle à manger, vaste salon, cabinets de toilettes, salles de bains. Ce bâtiment fait partie d’un remarquable complexe d’accueil pour les immigrants en santé, Avec les hôtels de troisième et première classe, l”aménagement de l’hôtel de deuxième classe traduit les transformations que connaît le transport maritime des immigrants dans la deuxième moitié du XIXe siècle par la structuration des classes de voyagement. Ces édifices répondent aux pressions des grandes compagnies de navigation sur le gouvernement pour qu’il aménage, dans chaque station de quarantaine, des locaux de détention pour immigrants, compatibles avec leur catégorie de voyage.

L’ÉDIFICE DE DÉSINFECTION

Construit à l’extrémité nord du quai ouest, l’Edifice de désinfection renfermait dans sa partie centrale de 1892, eu rez-de-chaussée, trois étuves de désinfection et, à l’étage ajouté en 1913, 44 douches. L’aile sud apparut en 1915, celle du nord en 1927. Vers l’arrière, en direction de l’est, on remarque l’alignement de quatre volumes depuis le nord vers le sud: l’atelier de l’électricien (1927), la salle des dynamos (1902), la salle des chaudières et enfin, la plate-forme à charbon mise en place en 1919. Au rez-de-chaussée, trois voies ferrées permettaient le déplacement de wagonnets de désinfection qui, chargés de paniers, étaient introduits dans les étuves à vapeur. L’édifice a été restauré tel qu’on pouvait l’observer en 1927. Il comprend toujours des équipements forts significatifs des opérations de désinfection et de production d’énergie . De plus. L’édifice de désinfection présente actuellement des expositions en relation avec le contexte historique de la station de quarantaine.

L’ATELIER DE PLOMBERIE ET DE CHARPENTERIE

Situé à proximité de l’édifice de désinfection, ce bâtiment de bois construit vraisemblablement en 1914 sert alors de lieu de travail au plombier et au charpentier de la Grosse-Île.  Au fil des ans, d’autres ateliers s’y installent et, en 1945, l’armée canadienne le transforme en buanderie. Le bâtiment témoigne des différents métiers responsables de l’entretien des installations de quarantaine. C’est dans ce bâtiment que se trouve aujourd’hui le centre d’accueil et d’information de la Grosse-Île.

LA BOULANGERIE

Situé juste au nord des trois grands hôtels de l’île, à proximité de la cuisine des immigrants, la Boulangerie, construite entre 1902 et 1910, approvisionne ceux-ci en pain. A l’intérieur de l’édifice de bois, on a retrouvé l’ancien poêle, une longue huche de même qu’un pétrin mécanique.

De dimension presque carrée, le bâtiment est couvert d’un toit à quatre versants surmonté au centre d’un lanterneau carré, aussi couvert d’une toiture à quatre versants et percée par une cheminée. Il figure parmi les réaménagements  importants de la station au début du XXe siècle. La boulangerie est associée aux services aux immigrants et, comme les hôtels, à l’amélioration des conditions de quarantaine sur l’île.

LA MAISON DE L’ÉLECTRICIEN

Antérieure à 1850, cette maison de bois est l’une des quatre plus anciens édifices encore en existence à la Grosse-Île. A l’origine, cette demeure est celle du médecin adjoint de la station jusqu’en 1893. Sa localisation sur l’île a pour but de rapprocher le médecin adjoint de son travail qui consiste principalement à faire l’inspection sanitaire des passagers embarqués et des bateaux.

Par la suite, la maison a hébergé des électriciens, dont un, mort tragiquement dans la salle des dynamos de l’Edifice de désinfection.

LE BUREAU DE VACCINATION ET D’EXAMEN MÉDICAL

Construit en 1906-1907 à proximité du poste de garde, ce bâtiment, souvent nommé “maison de maternité” sert à l’origine à abriter un bureau administratif, un cabinet médical, une salle de vaccination pour émigrants et une salle d’attente.

La construction de cet édifice, de forme presque carrée avec un toit à deux versants et une galerie couverte qui court sur les quatre faces, figure parmi les réaménagements importants de la station au début du XXe siècle. Le bâtiment témoigne aussi de diverses activités associées au fonctionnement de la station.

LE POSTE DE GARDE

C’est sur l’isthme qui unit les secteurs ouest et centre de l’île que l’on a construit, entre 1893 et 1902, le Poste de garde. Recouverte de bardeaux et surmonté d’un toit conique à six pans, cette tourelle abrite le gardien chargé de veiller à ce que les immigrants en santé sous observation n’entrent pas en contact avec les habitants du village installés dans le secteur centre.

Le Poste de garde témoigne de l’organisation spatiale de l’île qui visait àbien séparer les immigrants malades des immigrants en détention préventive.

LA MAISON DE L’ASSISTANT MÉDECIN

La maison de l’assistant médecin, construite pour reloger ce dernier en 1892-1893, est un édifice en bois, rectangulaire et à deux étages, auquel est accolé une annexe-cuisine de deux étages. Sa toiture est à quatre versants et une galerie court sur trois côtés du bâtiment. Cette maison bourgeoise n’a perdu aucune de ses composantes d’origine. Parmi les dépendances qui se trouvaient à proximité, les restes du hangar à bois et de la remise n’ont pas encore été repérés, mais des vestiges du puits et d’un autre bâtiment ont pu être observés lors des sondages archéologiques. Cette résidence occupe un emplacement privilégié d’où l’officier de santé avait un excellent point de vue sur le fleuve, le secteur des immigrants sous observation et le quai, chose importante pour lui qui était chargé d’inspecter passagers et bateaux au large de l’île.

LE BLOC D’EN HAUT

Cette habitation à logements multiples, située au fond de la Baie du choléra, remonte à 1905. Avec ses quatre unités de deux logements, elle évoque les maisons urbaines en rangées érigées au tournant du siècle. A l’origine, à cinq mètres derrière ce bloc, se trouvait un long hangar d’un étage qui logeait les cuisines d’été de chacun des logements. Le bloc d’en haut était occupé par les marins employés à la station et leur famille. Logés à cet endroit, ces navigateurs étaient situés près du quai d’en haut et de leur travail sur les bateaux de la station.

LA CHAPELLE ANGLICANE

Édifiée en 1877-1878 dans le secteur de l’île à l’écart du village, la Chapelle, de style néo-gothique, est dotée en façade d’une tour qui logeait la sacristie. A l’intérieur de la chapelle, des vitraux à motifs géométriques procurent au temple un éclairage naturel mais très tamisé. On y retrouve un mobilier complet dont une chaire. La chapelle anglicane tout comme la catholique constituent un symbole de la vie communautaire de la station. Bien que les immigrants n’avaient pas accès à ces deux édifices, leur présence rappelle cependant l’importance des secours religieux parmi les nombreux services qui leurs étaient offerts.

LA CHAPELLE CATHOLIQUE

La chapelle catholique, construite en bois en 1874, occupait le centre stratégique de la Grosse-Île. L’édifice, auquel est accolé à l’arrière une petite sacristie, fut un des tout premiers bâtiment de l’île à être édifié sur un carré de fondation et non plus sur des piliers. L’extérieur n’a, pour l’ensemble, que peu varié depuis l’époque de sa construction. L’aménagement intérieur, pour sa part, a été mis en place en deux temps: la fausse volte est d’origine tandis que le lambris, la corniche et l’ensemble du décor furent réalisés en 1886. La totalité du mobilier et des accessoires de la chapelle a été conservée.

LE PRESBYTÈRE CATHOLIQUE

Le bâtiment abritant le presbytère catholique fut construit en 1848, mais il a fait l’objet de réparations importantes en 1878, avant d’être transformé à nouveau en 1913. A l’origine, l’édifice était un cottage d’un seul étage coiffé d’un toit à croupe. C’est en 1913 qu’un étage fut ajouté en soulevant le toit originel qui recouvre toujours le bâtiment. A la fin du XIXe siècle, des latrines, un hangar, une grande-étable et une remise (maintenant réunie au presbytère) étaient construits au nord et à l’est de la maison.

L’édifice à servi à l’origine, de résidence pour le commandant militaire de l’île (1848-1857). Ce bâtiment tient lieu de presbytère à compter de 1874, année au cours de laquelle on construisit, dans son voisinage immédiat, la chapelle catholique. En conjonction avec cette dernière et la statue de la vierge, le presbytère catholique rappelle vivement la présence d’une paroisse et d’un village à la Grosse-Île ainsi que le rôle du curé auprès des employés et des immigrants.

LA BATTERIES DE CANONS

La   batterie de canons, composée de trois pièces d’artillerie, fut mise en place au printemps de 1832. A l’exception d’un canon toujours sur son  affût d’origine, ces pièces d’artillerie ont perdu leurs affûts anciens et la plate-forme en bois, sur laquelle elles reposaient, fut reconstruite en béton au début du Xxe siècle. Les canons avaient pour fonction re rappeler aux navires l’arrêt  obligatoires qu’ils devaient effectuer devant la Grosse-Île. Ils sont donc intimement associés au fonctionnement de la station, notamment dans les premières années. En outre, cette batterie rappelle le fait que, de 1832 jusqu’à 1857, la station fut sous juridiction militaire.

LA STATION MARCONI

Construite en 1919, la Station Marconi, ou TSF, est un petit édifice avec toit à deux versants, situé en retrait de la route, près du fleuve, non loin de la résidence des médecins. Le caractère strictement utilitaire de la construction transparaît dans le plan de son aménagement intérieur: la moitié ouest du bâtiment accueillait la console et son opérateur, tandis que la moitié est abritait la chambre des génératrices et une salle de toilette. La station Marconi a remplacé l’ancien l’ancien télégraphe entre 1855 et 1892. Le bâtiment témoigne du progrès technique dans le domaine des communications et aussi de l’importance primordiale de ces communications dans les opérations quotidiennes d’une station de quarantaine humaine comme celle de la Grosse-Île.

LA RÉSIDENCE DES MÉDECINS

Cette maison de brique, construite en 1912, compte deux étages et des combles habitables; son toit à quatre versants et au sommet tronqué est percé de lucarnes. De style dit cubique, elle est monumentale, symétrique, et elle offre un maximum d’espace et de confort. Sa façade donne vue sur le fleuve. Cette résidence est apparue dans le contexte du déferlement des grandes vagues d’immigrants avant 1915 à Québec. Au moment de sa construction, les hospitalisations à la Grosse-Île ont quadruplé comparativement à celles du début du siècle et l’embauche de médecins supplémentaires s’avère alors essentielle.

L’ÉCOLE

Construit en 1909, ce bâtiment a servi d’école jusqu’aux années 1950. Les combles ont été aménagées en chambre à coucher, mais au départ, l’institutrice avait ses appartements au rez-de-chaussée. Une annexe à l’arrière servait de tambour pour l’entrée des élèves; on y trouvait  aussi les toilettes. Avec le presbytère et la chapelle catholique, de même que les vestiges du bureau de poste, il témoigne de la vocation villageoise de ce secteur de l’île.

LA RÉSIDENCE DU MÉDECIN BACTÉRIOLOGIQUE

Identique à la résidence des médecins, cette maison de brique, construite en 1912, est associée au médecin bactériologique travaillant dans le laboratoire situé à proximité. Cette résidence est apparue dans le contexte du déferlement des grandes vagues d’immigrants avant 1915 à Québec.

LA MAISON DES INFIRMIÈRES

Cette maison construite en 1912, est en fait un jumelé destiné à loger les infirmières. Ce bâtiment de bois à un étage et demi comporte un corps principal auquel se oint symétriquement de chaque côté un appentis. Deux appartements semblables, mais au plan inversé, occupent la résidence, dont l’intérieur témoigne de la recherche du confort. Avec les constructions voisines que sont le laboratoire et les deux résidences de médecins, la maison des infirmières constitue un prolongement du village. Elle témoigne des réaménagements importants apportés à la station au début du XXe siècle.

LE LAZARET

Un lazaret est un endroit isolé dans une rade où l’on garde en quarantaine les équipages et les passagers venant de pays infectés par des maladies contagieuses.

Cet édifice est le dernier des abris encore debout construits à Grosse-Île en 1847. D’abord conçu pour loger les immigrants en santé, le Lazaret, comme onze autres bâtiments de taille semblable édifiés en même temps à proximité, est devenu un hôpital dès 1848. Cet édifice de bois fut préfabriqué à Québec et assemblé sur l’île. Ultérieurement, il fut mis au service des malades atteints de variole, maladie la plus fréquente à Grosse-Île. Outre son volume, l’édifice garde intact certains détails originaux: fenêtres à deux ventaux et à multiple carreaux de verre, guichets d’aération. Son architecture rappelle les premières infrastructures temporaires de l’île. Cet édifice, le plus ancien de l’île, témoigne d’abord et avant tout de la tragédie de Grosse-Île en 1847. Il demeure le seul témoin encore debout de la fonction hospitalisation à Grosse-Île, fonction majeure d’une station de quarantaine.

LE CIMETIÈRE DE L’EST

Le cimetière situé à l’extrémité est de l’île fut créé en 1847-1848 et fut intensivement utilisé jusqu’en 1866-1868, alors que le surintendant Von Iffland ouvrit un cimetière dans le secteur central de la Grosse-Île, à la tête de la Baie du choléra. Après un intermède de quelques années, le cimetière de l’est de l’île fut à nouveau utilisé à compter des années 1875-1880. Les inhumations s’y faisaient de manière individuelles et les tombers étaient identifiées par des piquets portant des numéros. A partir de 1910 environ, des sépultures ont été marquées à l’aide de croix faites de tuyaux. Le cimetière est de la Grosse-Île englobait en réalité deux cimetières: l’un pour les catholiques, du côté est, l’autre pour les protestants, dans la moitié ouest. Une ligne nord-sud séparait les deux secteurs. C’est dans le cimetière catholique que plusieurs membres des familles des travailleurs de la Grosse-Île furent inhumés.

Pour terminer, j’aimerais vous citer quelques lignes d’un rapport du Montreal Immigrant Society Bulletin de 1848: “De Grosse-Île, le grand charnier de l’humanité sacrifiée, à Port Sarnia et tout le long du St-Laurent et des Grands Lacs, partout où se répandit le flux de l’immigration, se retrouvent les derniers lieux de repos des fils et des filles d’Irlande, chaîne ininterrompues de tombes où dorment des pères, des mères, des frères, des soeurs sans qu’aucune croix n’indique le lieu. Je ne crois pas que l’histoire de notre temps présente un parallèle de cet exode irlandais. C’était l’expulsion forcée et précipitée d’un peuple écrasé et elle fut accompagnée de scènes effroyables de souffrances et de mort.

Et voilà. C’est avec cette visite à la Grosse-Île que nous terminons ce récit. Durant ces   quelques  heures, nous avons vécu ensemble l’aventure des Irlandais aussi bien à la Grosse-Île que  dans leur pays et ailleurs dans le monde.  J’espère que vous avez apprécié ces pages d’histoire, que j’ai dû évidemment résumer.  Ceux qui aimeraient relire ce texte, il sera placé sur ma page web dans les jours qui viennent. Merci de votre écoute attentive.

 

DOCUMENTATION: La traversée du Naparima, James J. Mangan, Edition Carraig Books, Ste- Foy, Québec.

Grand-maman raconte la Grosse-Île: Jeannette Vekeman Masson, Corporation pour la mise en valeur de Grosse-Île.

Internet: http://parcscanada.risq.qc.ca/grosse-ile

 

Les beaux dimanches, 26 septembre 1999.

    


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